Rue des Écoles buissonnières

C’est son centenaire en 2023. Bernard Clavel est né en mai 1923, rue des Écoles à Lons-le-Saunier. Écoles qu’il ne fréquenta guère. Des fondations à la charpente, il a bâti une œuvre et une vie à peine imaginable par un… romancier.

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Bernard Clavel avec la chatte Zelda. Il naît à Lons-le-Saunier en 1923. En octobre 2003, à Courmangoux, il est victime d’une terrible attaque cérébrale dont il ne pourra jamais se remettre. Il décède à Chambéry en 2010. Il est inhumé dans le cimetière de Frontenay. (Photo : Jacques Geoffrion)

 

A Lons-le-Saunier rue des Ecoles, à deux pas du magnifique bâtiment du collège Rouget-de-Lisle, un coin de rue vit un peu anonyme. Plus loin, c’est le carrefour de Montciel. Avisons le numéro 29, à côté un chemin privé prend la tangente. C’est le 25bis, il mène vers la petite maison familiale où Bernard Clavel est né le 29 mai 1923, dans un logis sans électricité ni eau courante. Une époque encore marquée par la guerre, ça tangue encore, la France occupe la Ruhr. Quelques jours plus tôt, Pierre-Henri, le père, est allé suivre le passage d’Alexandre Millerand, le président de la République. Le père Clavel est un patriote, un ancien du 44e régiment d’infanterie caserné en ville. Le monde évolue quand même. On donne cette même semaine le départ de la première édition des 24 Heures du Mans (1).

Tendresse, rudesse

Ce coin de rue ne ressemble pas à celui que nous connaissons aujourd’hui. Le jardin de la maison s’étendait jusqu’au bord de la rue, un immeuble bouche désormais la vue. Plus loin, au carrefour, il n’y a bien sûr pas de grande surface, les salines de Montmorot y sont en activité. L’histoire familiale se prolonge rue des Salines où le père Clavel possédait avant la guerre une boulangerie aux actuels numéros 51/53. Il y a toujours une boulangerie. La maison, le jardin, la rue, ne constituent pas seulement l’univers du jeune Clavel.

Cet univers de la rue des Ecoles, Bernard Clavel la décrit avec tendresse dans l’admirable Les Petits Bonheurs. Il était plus rude et dru quelques décennies plus tôt. Les lieux sont entrés dans le patrimoine littéraire. Là, boulangerie comprise, se déroule l’essentiel des Fruits de l’hiver, prix Goncourt 1968. Un livre âpre, autour de la relation d’un fils avec  ses parents, et avec des arrière-fonds comme l’occupation – nous sommes à Lons-le-Saunier dans les années 1943-45. C’est le quatrième et dernier tome de la saga La Grande patience, ouverte avec La Maison des Autres, prolongée par Celui qui voulait voir la mer et Le Cœur des vivants. Bernard Clavel y raconte la vie du jeune Julien Dubois, derrière lequel il se cache à peine – Dubois est le nom de famille de sa mère Héloïse, originaire de Dole.

A grands traits

C’est donc là que commence un destin littéraire qui n’était pas romancé d’avance. Résumons à grands traits. Apprenti pâtissier à Dole, il a 17 ans en 1940. Il s’engage dans l’armée d’armistice, affecté à Castres. Armée dont il raconte avoir déserté car il la jugeait pas très résistante. Il use mille métiers, se retrouve dans un maquis puis à nouveau dans l’armée, celle de la Libération. Après la fin de la guerre, il épouse Andrée David. Ils quittent le Jura pour la région lyonnaise. Sa passion première, c’est la peinture, qui ne nourrit pas la famille vite agrandie de trois fils. Encore des métiers dont une longue séquence de gratte-papier à la sécurité sociale. La plume remplace les pinceaux, ce sont les premiers écrits publiés à partir de 1956. Il se retrouve journaliste au Progrès de Lyon. Une œuvre prend forme. On le laissera au début des années soixante quand il s’installe à Chelles près de Paris et se consacre pleinement à une œuvre immense. Il entre dans le paysage littéraire, comme on dit. La télévision aide aussi : une dizaine d’adaptations dont L’Espagnol.
On ne lit pas Clavel. On lit « tout » Clavel, surtout du côté du Jura où son œuvre marque, donne de la couenne au sentiment comtois. La saga des Colonnes du ciel nous fait longuement compagnonner avec Bisontin la Vertu. On s’habitue à ses déménagements incessants. Aussi à son caractère « pas facile » comme on dit. De nos jours pouvoir raconter une anecdote où Bernard Clavel ne manquait pas d’houspiller quelqu’un ou quelque chose c’est comme s’épingler les palmes académiques – du genre : « Clavel ? J’vais vous en raconter une bien bonne sur vot’Clavel ! ». Ce sont plutôt des hommes qui recherchent les palmes académiques. Les femmes lisent.

Cette vie unique, qu’un romancier n’arriverait pas à imaginer, a donc commencé dans l’anonymat de ce coin de rue, ce que peu gens de Lons-le-Saunier connaissent. Désespérons l’anonymat !
Jean-Claude Barbeaux

Documents : LireClavel, sauf mention contraire
(1) Il couvre l’édition 1967 de la course dont il publiera un passionnant récit : Victoire au Mans.

A Lons-le-Saunier, rue des Écoles, la maison natale se trouve derrière cet immeuble. Le chemin d’accès, à gauche, est une voie privée.
Pierre-Henri et Héloïse, les parents dans le jardin de la maison de la rue des Écoles. Ils figureront sur la couverture de plusieurs éditions poche des Fruits de l’hiver ?
Une relique : une page du cahier de recettes de l’apprenti pâtissier.
Rue D’Enfer à Dole, Héloïse Dubois, à droite, future Madame Clavel, est à droite en compagnie de ses sœurs. Elles sont devant la boutique de leur mère. Aujourd’hui s’y trouve la crèmerie des Garçons fromagers.

 

Avec Andrée, sa première épouse, qui jouera un grand rôle à ses côtés durant les années de vache maigre.
L’inauguration de la médiathèque Bernard Clavel à Dole. Coiffée d’un chapeau, Josette Pratte est à droite.
Photo : Pascal Chastin
La tombe de Bernard Clavel à Frontenay.

Encadré 1

L’établi littéraire
Cette photo a été prise à Château-Chalon, dans la grande maison occupée par Bernard Clavel à partir de la fin des années soixante. Nous sommes dans son bureau où il écrira, entre autres, Le Silence des armes. Un lieu pas ordinaire où les poutres de la charpente semblent vivantes. Y entrer relève presque du parcours initiatique. L’écrivain enjambe quelques marches (au premier plan) pour accéder à son bureau, minuscule en regard du volume du lieu.
Bernard Clavel écrit. Pas seulement des romans, également des essais, des reportages, des contes, des bandes dessinées pour enfants, des scénarios, des préfaces…  Pour les romans, il mature souvent longtemps les thèmes. Il compile ses idées dans un petit carnet. Exemple : Louis Pergaud est-il le soldat inconnu ? S’il songe à évoquer le travail du bois, si important dans son univers, il compose d’abord un petit dictionnaire des termes des métiers du bois. Il s’astreint méticuleusement à respecter les gestes des métiers.
Bernard Clavel écrit à la main, avec des stylos-plumes. Il a sûrement commencé avec des porte-plumes. L’aisance venant, il choisit ses stylos, ses plumes et ses encres – sans excès. Il a une prédilection pour la marque Sheaffer, il ne dédaigne pas Waterman ou Lamy. Sa journée de travail commence la veille par la préparation des stylos à remplir d’encres de différentes couleurs – point de vulgaires cartouches ! Il peut y en avoir une vingtaine. Quand il commence à écrire, il n’est pas question de tomber en panne sèche.
« Du cerveau au stylo, c’était physique » confie Josette Pratte, sa veuve et sa première lectrice. Elle se souvient des petits-déjeuners passés à évoquer l’évolution d’un roman, les pages à relire, les essais infructueux pour saisir les vérités d’un personnage ou l’utilité d’un objet, les envies de passer à autre chose. Sur le coup de sept heures sonnait l’heure des mâtines littéraires. L’écrivain rentrait dans son bureau jusqu’en fin de matinée. Personne n’aurait songé à le déranger – et surtout pas de bruit !
Des heures durant « il était seul avec lui-même, quand ça ne partait pas, il doutait, sa fragilité perçait. Dans le cas contraire, il pouvait écrire trois ou quatre heures sans s’arrêter. Une course de fond. Il n’hésitait pas à tout recommencer ». Dans cette solitude du bureau à Château-Chalon, les poutres ressentaient peut-être cette intensité, qui les tordait ou les apaisait.

Encadré 2

A Dole, des membres de l’association, avec Josette Pratte, en compagnie des organisateurs du Week-end du Chat perché pour préparer l’édition 2023 où Bernard Clavel, du moins sa mémoire, sera l’un des invités. (Photo : Yannick Tiercy)

Un centenaire, une association
L’association LireClavel est créée en 2020 pour promouvoir la vie et l’œuvre de Bernard Clavel. Les membres fondateurs viennent de toutes la France, et de Suisse. La petite histoire retient que son initiateur est Pascal Chastin, passionné par l’œuvre du Lédonien. Il était dans la région toulousaine, depuis il vit dans le Jura. L’association est présidée par Josette Pratte-Clavel, veuve de l’écrivain. Si la perspective du centenaire de la naissance a bien sûr motivé tous ces passionnés, ils inscrivent leur action dans la durée.
L’association a accueilli avec satisfaction l’initiative de la communauté de communes Cœur du Jura de donner le nom du Jurassien à la nouvelle médiathèque de Poligny – suite à une consultation de la population signe de l’ancrage de l’écrivain dans les mémoires.
Même si la période covidienne a retardé la mise en place, des contacts ont été pris qui aboutiront à des manifestations diverses cette année. Les premiers rendez-vous sont programmés à Salins-les-Bains (notamment les 26 et 27 mai), Château-Chalon (de mai à septembre), Dole (pendant le Week-end du Chat perché et dans la forêt de Chaux), Pontarlier (11 septembre) ainsi qu’à Morges, en Suisse. La programmation n’est pas terminée. Une biographie signée par le regretté Gérard Chappez paraîtra en avril chez l’éditeur Cabédita.

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