Invisibles, indispensables, les aides à domicile vont-elles disparaître ?

Elles sont des centaines dans le Jura, parcourant les routes tôt le matin et tard le soir pour prendre soin. Dernière roue du carrosse, aucune gratification ne leur avait été accordée au titre de la pandémie du coronavirus mais la situation évolue, heureusement.

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L'écoute est désormais devenue mission impossible, faute de temps.

Enfin un début de reconnaissance ?

Selon Alain Hughes, directeur des territoires d’ABRAPA (ex PRODESSA), les auxiliaires de vie ont été de vraies « digues face à la pandémie, et il est grand temps de reconnaître leurs efforts ». « Oubliées des distributions d’équipements de protection individuelle (masques) », elles ont reçu leurs dotations très en retard par rapport au personnel hospitalier, lui-même peu gâté… Gros employeur privé du Jura avec ses 600 collaborateurs, l’ABRAPA sent toutefois que les lignes bougent. A force de demandes du secteur de l’aide à domicile, le gouvernement semble prêt à étendre la prime exceptionnelle versée aux soignants : une extension méritée selon Alain Hughes, qui évoque entre autres les risques encourus lors d’interventions chez des bénéficiaires suspects de Covid 19. Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, cette prime d’Etat pouvant atteindre 1.500 € sera en principe doublée d’une prime exceptionnelle jusqu’à 500 € versée par l’ABRAPA (pour un temps plein ayant été ‘au front’ durant la pandémie). Comme d’autres professionnels du secteur, Alain Hughes reste toutefois prudent sur les modalités de versement de cette prime d’Etat : transitant par la CRSA, puis les départements, arrivera-t-elle bien jusqu’à ses bénéficiaires finaux ? Dans d’autres régions, les exemples de départements ayant ponctionné les subventions en provenance de la CRSA pour financer par exemple un RSA en crue (ou d’autres actions sociales) ne manquent pas…

Le métier manque toujours de bras. Photo d’illustration.

Mission aide à domicile : « J’aime venir en aide, me sentir utile »

Les auxiliaires de vie enchaînent les visites.

Qui fera la toilette d’un père, d’une mère, d’une tante ou d’un proche ? Qui l’aidera à se lever lorsqu’il ne peut plus le faire, à prendre ses repas, à se coucher ? Des questions vitales auxquelles personne ne répond. Car celles qui exécutent ces missions sont comme frappées d’invisibilité. Pourtant ces femmes (une majorité) ont des noms et des visages, tel celui de Fatima, auxiliaire de vie parmi d’autres. Rencontre.

Fatima *, de quoi est faite votre mission ?

Depuis 17 ans, j’interviens au domicile de seniors jurassiens. La journée se déroule en deux temps, de 7h45 jusqu’à 12 ou 13h, puis après une pause, je reprends en début d’après-midi jusqu’à 20 h. Certains bénéficiaires ne peuvent plus tenir debout, j’en couche certains à 19h jusqu’au lendemain matin… J’assure aussi les transferts, c’est-à-dire mettre une personne sur son fauteuil ou l’en enlever. C’est un métier physique, il faut être costaud (rires).

Et moralement ?

Oui, il faut être aussi costaud psychologiquement. Je suis souvent la seule personne à être présente, face à des personnes dépendantes ou fatiguées qui se plaignent ou qui pleurent. Je gère parfois des cas lourds et tout leur mal-être, et je donne l’alerte si cela ne va pas. Je travaille dans certaines maisons depuis 16 ans, cela crée des liens, on fait presque partie de la famille (rires).

Quelles sont vos conditions de travail ?

J’ai été payée au Smic pendant une dizaine d’années, j’ai exercé au début en temps partiel : on ne fait pas ce métier pour l’argent ! Je suis défrayée 0,35 €/kilomètre pour utiliser ma voiture personnelle, mais elle s’use beaucoup. Les vacations s’enchaînent toutes les demi-heures, et je peux parcourir 80 km par jour, plus de 15.000 par an. Durant la pandémie, nous avons attendu 2 à 3 semaines pour recevoir les premiers masques en tissu, un par jour, puis du gel, des gants, etc.

Comment avez-vous traversé la pandémie ?

Avec de la peur, car nous avons été confrontées au Covid 19. Qui est intervenu chez les malades du coronavirus sortant de l’hôpital ? Des collègues ont été au contact direct.

Qui veut (encore) faire ce travail ?

Ceux qui aiment vraiment les gens, qui veulent venir en aide et se rendre utile. Certaines essaient et rendent leur tablier au bout d’une journée. Cela peut créer des difficultés pour trouver des remplaçantes et nous permettre de partir en vacances. Si on persévère, on est souvent usées à la cinquantaine et on doit envisager une reconversion.

Que peut-on faire pour vous aider ?

J’aimerais avoir des vacations plus longues parfois : 30 minutes, c’est trop court pour les personnes les plus dépendantes. Cela crée du stress, surtout lorsque les logements ne sont pas adaptés au handicap. Sur le plan matériel, on se bagarre parfois pour avoir des gants ou de quoi travailler, cela pourrait s’améliorer. J’aimerais que notre profession soit mieux reconnue, en tant qu’auxiliaire de vie sociale je suis diplômée (à la différence de l’aide à domicile, N.D.L.R.). Et que les gens se rendent compte que notre métier ne se résume pas à faire le ménage et papoter…

Dossier réalisé par Stéphane Hovaere.

*Nom de famille masqué à la demande de l’intéressée