Jura. Constance Rameaux entend les murmures des murs du Monthury

Du côté des Nans et d'Onglières, aux lisières de la forêt de la Joux, au bout du bout d'un chemin se dresse la silhouette massive du Monthury. On raconte les histoires des châteaux ou des églises, pourquoi ne pas s'intéresser à une maison ? Surtout quand elle évoque l'acharnement de familles de paysans à la faire vivre loin de tout, quand y naît un ancêtre de Louis Pasteur ou quand le lieu a servi de refuge pour des dizaines de résistants. Constance Rameaux s'y est employée. D’autant plus qu’elle y est chez elle.

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Été ou hiver, le Monthury en impose au fond de la combe aux Boeufs.

 

Constance Rameaux, passionnée par les chevaux, ici entre Kebir et Mika, deux pensionnaires du Monthury avec leur pelage d’hiver.

L’état de l’intérieur de la maison lors de la première visite.
La charrue de type brabant était posée là. Elle n’a pas bougé, elle tient compagnie à un vénérable marronnier.
Que vient faire Louis Pasteur ici ?

C’est comme dans le livre. Au bout de dédales de petites routes – dont une route 66 -, on avise une boîte à lettres à l’entrée d’un chemin. On choppe le susdit chemin pour trois bons kilomètres au milieu d’un univers forestier. On y ressent à un endroit les effets de la tempête de 1999. Constance Rameaux s’en souvient : « On est resté bloqué cinq jours ». La maison apparaît au loin. C’est une masse de pierre, flanquée de quelques tourelles elle passerait pour un château. D’un côté, le paysage s’ouvre sur la combe aux Boeufs, la mal nommée tant elle semble suggérer la douceur de l’agneau. D’un autre côté, il y a Les Nans, environ 90 habitants, le reste étant le domaine de la forêt et de pâtures. Comme disait l’autre « Comment en est-on arrivé là ? »

Originaire de Vers-en-Montagne, passées des études de lettres, Constance Rameaux s’adonne à sa passion pour le cheval. Côté métier, elle s’oriente vers le journalisme – elle sera notamment de la belle aventure du magazine En Vadrouille. Une première époque semée d’épopées à travers le monde au rythme du pas du cheval. Il y a par exemple un périple de deux années en Amérique du Sud en compagnie de Jean-François Ballereau. Un jour, il y a l’envie du retour au pays à la bonne condition de s’installer dans une maison isolée. « On a pris une carte du Jura et on a cherché » se souvient Constance Rameaux. Une vieille dame rencontrée par hasard leur dit quelque chose comme « J’ai la maison qu’il vous faut ». C’est alors la découverte du Monthury, totalement à l’abandon. La prédiction de révéla juste.

Propriété de la mairie des Nans, la maison est acquise à l’issue d’une vente aux enchères. Ensuite, il ne restait plus qu’à se retrousser les manches pour redonner vie à ce bloc compact affichant 500 M2 au sol et des volumes maousses. Le tout avec quelques lacunes en matière de confort moderne, comme l’absence d’électricité et d’eau courante.

« Là-bas, au-dessus »

A force de se colleter avec la restauration des murs, Constance Rameaux a somme toute compris qu’ils avaient des choses à raconter. « J’ai senti qu’il y avait beaucoup de mémoires dans ce lieu. Il suffit de songer à toutes les naissances qui ont vu le jour ici, et à toutes les morts. Alors, j’ai recherché tout ce que pouvait nous raconter les archives sur les propriétaires et les fermiers, sur les événements particuliers, tout autant que les légendes qui peuplent les environs ». Ainsi s’écrit Monthury, la petite histoire d’une grande maison.

Des noms s’alignent, des us et coutumes, des statistiques montrent l’activité. Au détour d’un acte apparaît le nom d’un ancêtre en ligne directe de Louis Pasteur. Une plaque astucieuse posée à l’entrée le souligne. Constance Rameaux a surtout la bonne idée de retrouver les derniers locataires du lieu. Alors le livre remonte dans les années 1900 pour raconter la vie, isolée mais pas sans animation. Le contact étant notamment maintenu grâce à la livraison du lait à la fruitière des Nans ou les trajets quotidien vers l’école. On devine l’harassement dans le chemin enneigé, l’éreintement à couper les bois, peut-être aussi la lassitude, la guerre qui prend les hommes, obstacles balayés sous la protection de cette maison aussi indestructible qu’incorruptible.

Plus près de nous, le Monthury a servi de refuge pour des dizaines de maquisards pendant l’occupation. Des témoins le racontent. Les derniers habitants quittent les lieux en 1974. La modernité agricole s’y était invitée, avec l’arrivée des tracteurs. Mais, côté vie quotidienne, le confort moderne n’y était pas invité, ce n’était plus possible dans ces années soixante-dix. Tous sont partis avec leurs souvenirs, plutôt attendris. Comme dit l’un des témoins : « C’est là-bas, au-dessus qu’on était le mieux ». La maison se vide, reste à l’abandon sous la garde d’un couple pour fable de La Fontaine : un marronnier hors d’âge et une charrue. Jusqu’à la prédiction d’une vieille femme.

Jean-Claude Barbeaux

Photos : Constance Rameaux, Daniel Ziv

Encadré 1

Une maison… d’édition

Ces dernières années, Constance Rameaux a aussi écrit deux autres livres réjouissant : C’était Champagnole… avant l’an 2000 et C’était Nozeroy… avant l’an 2000. L’auteure y propose des témoignages sur la vie en ville et la vie aux champs, principalement pendant les Trente glorieuses. Champagnole est typique de cette époque, presque une ville champignon dotée d’une énergie peu commune – utilisait-on des champignons hallucinogènes ? Les témoins se souviennent avec une nostalgie joyeuse. « Comment a-t-on pu faire tout ça ? » semblent-ils penser. Il y est beaucoup question de travail, d’entreprises, d’artisanat, mais aussi de confort, d’habitat, de vie scolaire, de défis, de culture, de fêtes, de sport. Dans l’ouvrage consacré à Nozeroy, outre les aspects agricoles, on retrouve l’épopée des basketteuses de Cuvier, la niaque des rugbymen de Censeau et aussi, à Censeau, cette saga du foyer rural qui devint une sorte d’université à la campagne. Des histoires de vie quotidiennes à la façon d’épopées hors-normes, probablement parce qu’il n’y en avait pas beaucoup, de normes.

Ces livres sont édités par z4éditions, maison fondée par Daniel Ziv et installée au Monthury. Une maison ouverte, sensible au local mais pas seulement. Maison qui a entamé la publication une série de petits polars à l’enseigne de Jura Noir. Premiers titres : Du Rififi au Monthury, Torgnoles à Champagnole. A suivre…

-Pour en savoir plus : www.z4editions.fr

-Contact : z4editions@gmail.com

Encadré 2

Agathe donne des billes au passé

Agathe Coutemoine.
Document : Archives départementales du Jura, 69Fi 2683

C’était le coup de la malle abandonnée dans un grenier. A Vers-en-Montagne, au milieu des années quatre-vingt, cette fameuse malle retrouvée s’ouvre, et il en sort un bon génie de la photographie. Il y a là quelque 3 000 plaques photographiques, venues des temps héroïques. Qui tenait l’appareil photo ? Se révèle alors une certaine Agathe Coutemoine, née par ici en 1867, une lointaine parente de Constance Rameaux. Il apparaît alors le caractère pionnier de la dame, première femme photographe du Jura. Le trésor ne resta point enfoui. Les plus beaux clichés qui moissonnaient la vie rurale de l’époque furent promptement publiés dans un livre (1).

Depuis peu, l’ensemble du trésor a été déposé aux archives départementales du Jura pour y être conservé et numérisé. Un second livre est prévu qui célébrera « Mademoiselle Agathe, première femme photographe du Jura », avec la même préface de Bernard Clavel présente dans le premier ouvrage.

(1) Agathe Coutemoine, Village du temps retrouvé, préface de Bernard Clavel, Édition du Chêne, 1987.