Se mordre la queue ?

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Gérard Bouvier.

Nous sommes le pays qui consomme le plus de médicaments.
Chaque inconfort, fût-il passager, futile tout récent, est prétexte à se goinfrer (1) d’antalgiques, d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de somnifères… Ne cherchez pas la raison, elle coule de source. Nous sommes, sur cette planète en souffrance, le pays qui souffre plus encore. Le plus déprimé, le plus anxieux… (2)

La molécule la plus déglutie est le paracétamol avec 500 millions de boites par an en France. Presque 10 boites par habitant. Sa consommation est en constante augmentation sur un taux de + 5% par an depuis son entrée dans nos placards à la fin des années 60. (3)

Ce médicament, comme toutes les molécules actives, a ses inconvénients. À haute dose -et la marge toxique est vite atteinte- il détruit le foie, un organe précieux à plus d’un titre. Une consommation massive de paracétamol (4) constitue de loin la première cause des greffes de foie, opération désespérée pour sauver ceux qui peuvent l’être encore quand le foie, agressé par un excès brutal de cette molécule, est détruit… (5)

Notre appétit sans limite pour les médicaments fait les choux gras de « Big Pharma » (6). Pourtant nous sommes nombreux à détester ces grands groupes pharmaceutiques qui s’enrichissent sur nos souffrances. Nous voudrions leur tordre le bras et nous vomissons sur eux sur les réseaux sociaux. Que faire ? Leurs bénéfices nous sont aussi insupportables qu’inaccessibles. La seule solution pour apaiser notre rage c’est de prendre des antidépresseurs, des anxiolytiques, des somnifères. Dès que possible. C’est le seul moyen de supporter leurs bénéfices honteux que nous avons tant de mal à accepter. Et si -à les voir s’enrichir- notre amertume et nos aigreurs sont trop fortes pourquoi ne pas prendre aussi des pansements gastriques ?

Notes pour une meilleure lecture :

(1)- Nous sommes friands de remèdes. Est-ce un trouble du comportement alimentaire ? Difficile de l’affirmer. Mais il est vrai que nous avons un fort appétit pour absorber des vitamines, des compléments alimentaires et autres probiotiques. Une vraie gloutonnerie pour avaler tout ronds des sels minéraux ou divers métaux aux riches vertus, une aspiration pour fumer, pour sniffer, pour inhaler… Et que dire de notre boulimie pour boulotter toutes sortes d’adjuvants pour une survie qui reste malgré tout hypothétique sur le long terme. Des manières qui pourraient surprendre au Burundi ou en Sierra Leone. Au Malawi aussi.

(2)- Et encore ne nous plaignons pas ! Nous sommes de ceux qui ne se plaignent qu’à bon escient.

(3)- Nous n’avalons que 150 millions de boites d’antidépresseurs. Ce qui montre que nous souffrons plus physiquement que moralement. Ça redonne un peu le moral… Mais ça fait mal.

(4)- La découverte du paracétamol doit beaucoup au hasard. En 1886, à Strasbourg, Adolf Kusmaul travaille sur un antiparasitaire, le naphtalène. En rupture de stock, il est contraint de se ravitailler dans une pharmacie de la ville. Mais, en ce temps-là, il arrivait que les gens fassent n’importe quoi. On lui livre par erreur un produit qui ne tue pas les parasites mais qui calment leurs douleurs ! On venait de découvrir le paracétamol.
Une découverte scientifique qui découle ainsi du hasard couplée à l’interprétation géniale d’un chercheur s’appelle la sérendipité. C’est un mot un peu précieux mais qui peut rapporter gros. Alexander Fleming, qui était bordélique, part en vacances sans ranger ses boites de Pétri. Quand il rentre il constate que des moisissures ont salopé son travail : les microbes alentour de ses cultures ne poussent plus. Plutôt que de faire une crise de nerf qui eut été parfaitement justifiée car une boite de Pétri ça n’est pas donné et la recherche est toujours à cours de financement, il en tire la leçon et découvre la pénicilline. Sérendipité !
En 1941, un électricien suisse revient d’une partie de chasse dans le Jura. Jusque-là tout va bien. Mais son chien est couvert de fruits de bardane qui se sont collés dans ses poils. Il eut pu le raser à triple zéro, le priver de croquettes pendant plusieurs semaines et brûler son permis de chasse. Tout au contraire, il étudie la bardane au microscope et invente le velcro. Sérendipité !
Dans les années 90, le laboratoire Pfizer expérimente un nouveau médicament cardio-vasculaire. Pas très efficace… Mais une infirmière chambre 17, côté fenêtre, demande à un patient : « et c’est quoi, selon vous, cette bosse ici sous le drap ? ». Le patient dépité et la queue entre les jambes, la rassure : « non ! non ! je vous assure ça n’est pas à vous que je pensais ! ». Dans la chambre suivante, pur hasard, le même phénomène se renouvelle… Marie-Luce demande : (appelons là Marie-Luce, si vous êtes d’accord) « et c’est quoi cette bosse, là, sous le drap ? ». Et elle pose sur la bosse un doigt pressant car depuis la chambre 17 elle s’était enhardie. Même réponse ! Marie-Luce fait le rapprochement entre ces organes génitaux mâles disséminés en érection dans son service et le nouveau traitement en cours des patients. On venait de découvrir la Viagra ! Vendu depuis en millions de comprimés. Ce qui en dit long sur ce qui est trop court. Sérendipité ! (4 bis)

(4 bis) – J’ai romancé un peu l’histoire parce que vous le valez bien et aussi parce que notre monde manque tellement de poésie ! Mais le fond reste vrai.

(5)- Ce Grands mots, Grands remèdes vient surligner la campagne pour le bon usage du médicament lancée par l’ANSM mercredi 7 juin. L’ANSM est l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé.

(6) – L’expression faire ses choux gras est en usage depuis le XVème siècle. Il faut imaginer que nos ancêtres ne connaissaient en ces temps reculés ni le riz ni les pâtes et pas même la pomme de terre. Ils ignoraient aussi la purée et les chips. Aussi mangeaient-ils beaucoup de choux. Parfois jusqu’à en avoir ras le bol car ils ne connaissaient pas non plus l’assiette.
Pour mettre un peu de beurre dans les épinards ils ajoutaient du lard dans les choux qui devenaient dès lors des choux gras qui ballonnaient tout autant mais étaient moins suffocants.