Dans cette rubrique il nous arrive de nous réjouir d’expressions qui -comme les
recettes des Grands Chefs- cachent sous leur fumet raffiné de secrets assemblages
aux mystères bien gardés. Ainsi, j’entendais tantôt : « c’est mon dada ! ».
Que cache ce dada ?
Les étymologistes prétendent que ce mot est d’origine anglaise comme le penalty ou
le brexit. Ils expliquent dans un charabia (1) où je me suis perdu que le hobby-horse
(le dada anglais) est un long bâton utilisé par les enfants comme un jouet pour des
chevauchées fantastiques dans les couloirs et vestibules anglais. Dont acte.
De là, un écrivain satirique de chez eux, Laurence Sterne, de surcroît membre du clergé
(2), aurait donné à l’expression « enfourcher son dada », le sens de poursuivre une
idée fixe. L’allégorie est en glaise compacte et imperméable. Un peu tirée par les
crins de la queue (3) si vous voulez mon avis.
Malgré cette boiterie d’origine, le dada s’est envolé jusqu’à franchir la Manche.
Chez nous, le dada raconte une lubie, une marotte (4), un passe-temps, un violon
d’Ingres (5).
Le mulet et la mule sont stériles mais le dada a mis bas le dadaïsme. Un mouvement
artistique qui proteste par la dérision contre l’absurdité universelle. Tout un
programme ! (6)
L’histoire a retenu que pour donner son nom à ce mouvement qui voulait se libérer
des idées reçues ses promoteurs ont glissé un coupe-papier au hasard dans les
pages d’un dictionnaire Larousse le 8 février 1916 à Zurich, au café Terrasse. Vous
penserez comme moi que les cafés suisses sont bien nantis et prospères pour qu’on
y trouve un Larousse plutôt que Paris-Turf. Mais ne nous dispersons pas sur d’autres
dadas en coq-à-l’âne inutiles…
J’ai voulu reproduire l’expérience. Mais mon coupe-papier pourtant de qualité suisse
a buté sur « cacophonie ». Je n’en tire aucune conclusion.(7)
Notes pour ne pas mieux comprendre ce texte après l’avoir espéré un court instant…
(1)- Le charabia est utilisé ici pour rester dans l’esprit chevalin et même un peu
cavalier de cette rubrique. Le charabarat en ancien parler lyonnais était le marché
aux chevaux dont la terminaison barat, qu’on retrouve dans baratin fait allusion à la
tromperie et au tumulte souvent rencontrés sur ces champs de foire.
(2)- Sterne ! Un écrivain satirique anglais, membre du clergé dont le prénom est chez
nous féminin… Consternant.
(3)- Du crin on fit les crinolines, jupons bouffants apparus en 1848. On dit bouffant,
mais les dessous de nos aïeules n’avaient pas un meilleur appétit que les nuisettes
de nos compagnes d’aujourd’hui. Il s’agit du participe présent non point de bouffer
mais d’un de mes verbes préférés : le verbe bouffir qui signifie déformer par une
enflure morbide. Et qui vous conduit à me dire : tu l’as dit bouffi ! Expression familière
qui date de 1802. L’année même où naquit Victor Hugo sans naturellement qu’il y ait
là aucun rapport.
(4)- Clément Marot est un poète français né à Cahors en 1496. C’est un précurseur
de la Pléiade. Il est le poète le plus important de la cour de François 1-er et il est
l’inventeur du sonnet.
Toi qui vécus si longtemps sans sonnet,
Prend ton envol car Marot, désormais,
A réparé l’oubli où tu restais.
Ces quelques vers n’ont pas été écrit par Clément Marot, faute de temps (il est mort
en 1544). Alors que moi j’ai tout mon temps.
Naturellement l’expression commune « c’est sa marotte » n’a rien à voir avec Marot.
Elle est apparue au sens d’une idée fixe en 1639. Longtemps après que le poète ait
disparu.
(5)- Aujourd’hui le violon d’Ingres est aussi célèbre que le nougat de Montélimar.
Jean-Auguste-Dominique Ingres est un peintre français du début du XIXème siècle
consacré de son vivant comme le champion de la doctrine du beau. Il donnait la
primauté au dessin sur la couleur et reçu le Grand Prix de Rome de peinture en
1801. Mais la critique s’est mélangé les pinceaux et c’est son goût pour le violon, une
autre corde à son arc, qui le fera passer à la postérité. Il fut deuxième violon à
l’Orchestre du Capitole de Toulouse. Excusez du peu ! C’est cette passion qui a
permis de lui consacrer une expression pour lui tout seul. Il rejoint ainsi au Panthéon
des nominés Samothrace et sa Victoire, Béchamel et sa sauce, Cambronne et son
mot de cinq lettres, et tant d’autres.
(6)- Protester par la dérision contre l’absurdité universelle mériterait un Cabinet
Ministériel à temps complet tant la tâche est énorme.
Pierre Dac disait : « En hiver on dit souvent : Fermez la porte, il fait froid dehors mais
quand on a fermé la porte il fait toujours aussi froid dehors ». C’est un exemple, vous
pouvez laisser ouvert.
(7)- Je devrais ?