La semaine dernière je ne vous ai pas tout dit sur les casseroles qui réveillent
actuellement l’espace public. Après un bon début où j’ai cru décrocher la timbale j’ai
fait un four. Je suis resté en carafe. Je m’étais noyé dans un verre d’eau.
Je ne vais pas tourner autour du pot et je n’irai pas avec le dos de la cuiller car il y a
du pain sur la planche. C’est pas de bol mais j’ai décidé ainsi. Je vais donc vous
proposer la suite, à fond les gamelles, en deux coups de cuiller à pot. Quitte à mettre
les pieds dans le plat pour être bien compris. C’est que je n’aimerais pas trainer une
casserole pendant des mois, fourchette basse, voire des années, fourchette haute.
Et encore des années, c’est à la louche ! Les carottes sont cuites et rien que de vous
l’écrire je ne suis pas dans mon assiette (1).
Notre problème c’est que ceux qui sont nés avec une cuiller d’argent dans la bouche
(2), les abonnés de l’assiette au beurre, ceux qui ont le beurre, l’argent du beurre et
le sourire de la crémière, ceux-là ne souhaitent pas mélanger les torchons et les
serviettes. Ils veulent tirer les marrons du feu et ils veillent au grain. Si bien qu’ils ont
parfois du mal à entrer dans le moule et à comprendre que, pour ceux qui sont dans
le pétrin roulés dans la farine en rangs d’oignon et qui n’ont pas assez de beurre
pour leurs épinards, pour eux : tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse (3).
Même un cordon-bleu a envie de rendre son tablier quand la coupe est pleine et qu’il
en a ras le bol. C’est sûr : boire du petit lait ça n’est pas la mer à boire quand
d’autres boivent le calice jusqu’à la lie au prétexte que la messe est dite.
Sur ce, je vais casser la croûte. J’ai d’autres os à ronger en attendant de sucrer les
fraises ou pire : en attendant le bouillon de onze heures.
Notes pour éclaircir ce texte, s’il est possible…
(1)- Ne pas être dans son assiette ! Voilà une expression qui nous parait stupide.
C’est qu’on a oublié que, jusqu’au XVIème siècle, il n’y avait ni couverts ni assiettes.
On s’installait sur les bancs et on piochait avec ses doigts dans le grand plat posé au
centre de la table. Avoir le bras long pouvait aider… L’assiette (du verbe latin
adsedere : asseoir) désignait l’emplacement d’un convive assis autour de la table.
L’assiette d’un cavalier est d’ailleurs sa façon d’être assis. C’est quand on a compris
que c’était très mal poli de manger avec ses doigts (et de parler la bouche pleine en
plus) qu’est née la pièce de vaisselle plate qu’on appela assiette en 1507. Les gens
ayant de plus en plus d’écus et de plus en plus d’appétit (souvent les deux vont de
pair) on inventa l’assiette creuse en 1690. On prenait une assiette plate et on la
creusait en son milieu avec une sorte de pioche. C’était assez simple mais il avait
fallu 183 ans de démarches en tout genre pour faire aboutir le projet.
(2)- D’abord culier (vers 1100) puis coller (vers 1150) puis cuillier (vers 1160) et
devenue féminin sous la forme cuillere en 1329, la cuillère nous a obligé à tourner
sept fois la langue dans la bouche avant d’aboutir à son orthographe actuelle. Il est
d’ailleurs encore licite d’écrire cuiller. Par contre cueillère influencé par cueillir est une
forme fautive.
Les premières cuillères étaient en bois. Elles le sont longtemps restées chez les plus
pauvres avant qu’arrive l’étain. En rugby à XV, la cuillère de bois est une
récompense virtuelle et moqueuse décernée au pays qui a perdu tous ses matches
dans le Tournoi des Six Nations, signe d’une grande pauvreté de son jeu.
Les anglais toujours prompts à nous moquer nous ont décerné la cuillère de bois en
2013 parce que nous étions derniers. C’était profondément injuste et une de ces
bassesses dont ils ont le secret parce que nous avions tout de même battu l’Ecosse
(23 à 16).
Rigolote quand elle est remportée par l’Italie, la cuillère de bois est offensante quand
on l’attribue à une grande nation comme le France.
La tradition voulait que dans les familles riches le parrain offre à son filleul une
cuillère d’argent comme cadeau de baptême. D’où l’idée que ce filleul, bien né avec une cuillère d’argent en bouche et le népotisme aidant, allait s’ouvrir bien des
débouchés.
(3)- Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse est l’un des plus anciens
proverbes connus de notre langue.
On en trouve trace dès le Roman de Renart rédigé par divers auteurs anonymes
entre 1170 et 1250 sous la forme « Tant va pot a l’eve qu’il brise ».
La cruche ne remplace le pot qu’en 1550 : « Tant va la cruche au puiz qu’elle y laisse
le manche ». Depuis la cruche s’est imposée dans le proverbe comme en bien
d’autres lieux.
Un proverbe chinois dit : Si tu tapes une cruche contre ta tête et que ça sonne creux
n’en conclue pas trop vite que la cruche est vide.
Frédéric Dard prétendait : « Tant va l’homme à la cruche qu’à la fin il se case » ce qui
nous rappelle qu’en Suisse une cruche est une bouillotte.
Une métaphore, de sens oublié, a conduit la cruche à désigner une personne ignare
et niaise (tous sexes mélangés).
Si vous êtes sourd comme un pot, si vous chantez comme une casserole et si de
surcroit vous êtes une cruche ne vous étonnez pas de faire la queue à Pôle Emploi
et d’être mal vu, même au Photomaton.
Enfin citons pour être complet ce proverbe amharique : (si vous ne parlez pas
couramment l’amharique vous allez avoir des soucis en Éthiopie. Emportez un carnet
pour dessiner des images et des concepts) « l’eau qu’on prend pour rincer une jarre
suffit à remplir une cruche ». À méditer en période de sécheresse.