Le bout de son nez

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Gérard Bouvier.

Dans cette rubrique je ne vous ai jamais rien caché. En tout cas pas l’essentiel…
Alors, autant que vous le sachiez : je rentre de vacances fatigué.(1)
J’ai rencontré des vacanciers qui récusaient le changement climatique. « Foutaises
de journalistes !… Il a toujours fait chaud l’été !… (2) D’ailleurs on supportait une
petite laine en Charente mi-juillet, alors ne venez pas me parler de votre prétendu
réchauffement… ». (3) J’étais un peu décontenancé d’entendre toutes ces victimes
d’un complot, de Big Pharma, de Macron, et de tant d’autres encore qui -je cite- les
prenaient pour des cons.(4)
Il me vint cette idée, qui ne me quitte plus, que l’on a bien du mal à voir plus loin que
le bout de son nez et cette découverte m’a troublé. J’ai voulu savoir si j’étais atteint
de cette même myopie et j’ai cherché à scruter cette frontière : le bout de mon nez.
Vous le savez mon nez n’est ni un roc, ni un pic, ni un cap et pas non plus une
péninsule. Et c’est mieux ainsi car sinon il faudrait sur-le-champ que je me
l’amputasse ! (5) Non ! C’est un nez moyen de 5 par 2 que j’héberge depuis des
années sans honte ni fierté et qui a le bon goût de soutenir mes lunettes.
J’ai passé des heures à essayer de géolocaliser cette frontière : le bout de mon nez.
C’est compliqué et stupéfiant. Figurez-vous (si j’ose dire) qu’on ne voit pas le bout de
son nez. En louchant tout en clignant d’un œil puis de l’autre on en voit un extrait très
riquiqui. Mais on est vite repéré.
Cet exercice répété m’a causé quelques maux de tête mais au moins suis-je arrivé à
cette révélation : impossible de reprocher aux complotistes de ne pas voir plus loin
que le bout de leur nez si ce bout leur est caché…
Oui ! Je pense comme vous : mes vacances ont été trop courtes.

Notes de l’auteur pour une meilleure acceptation du texte…

(1) – La rentrée est une étape importante de la vie personnelle et sociale pour nous
tous. C’est un mot si courant, avec un pic d’utilisation en septembre, qu’on ne
soupçonne même plus qu’il est bien mal bâti. Car si intrer date de la deuxième moitié
du Xème siècle, re-entrer devenu rentrer et donc son substantif « la rentrée » est
beaucoup plus tardif et aurait du mal à justifier sa construction sémantique. Peu
importe quand faut y aller, faut y aller. Et si l’on veut faire la ressortie en juillet, il faut
bien faire la rentrée en septembre.
(2) – On entend dire souvent qu’il y a toujours eu des périodes de réchauffement et
des périodes plus froides. Si j’objecte que jadis ces changements climatiques
s’étalaient sur 30 000 ans alors que depuis une période récente ils s’étalent sur 30
ans, il m’est arrivé de croiser des regards vides. Comme si 30 000 ans ça n’était
jamais que 30 ans en beaucoup plus long. Sans autre différence notable. C’est là
qu’il vaut mieux interrompre l’échange selon les psychologues avisés pour ne pas
aggraver son cas.
(3) – Nous avons une meilleure perception de nous-mêmes que de ce qui se passe
au loin. Si le Canada et le pourtour méditerranéen brûlent il va falloir le prouver parce
que sur le premier plateau il a fait encore bien frais cette nuit. Cet argument de
proximité est un moyen de défense psychique mis à notre disposition pour garder
toujours -et vaille que vaille- un bon moral. Il est vrai qu’il est délicat de se goinfrer de
glaces à trois boules quand les éthiopiens crèvent de faim et de soif. Difficile aussi de
profiter de la piscine à bain bouillonnant quand des migrants se noient en
méditerranée. Ces moyens de défense efficaces nous protègent de questionnements
qui pourraient nous fragiliser et c’est tant mieux s’il a fait frais en Charente en juillet.
(4) – Nous sommes nombreux à penser qu’on nous prend pour des cons. Allez
savoir pourquoi  puisque bien au contraire ? Car il faut bien reconnaitre que nous
détenons suffisamment de bon sens pour avoir toujours raison sur la plupart des sujets et aussi des compléments d’objet. Comme aussi ceux qui pensent tout l’inverse.
(5) – Cet extrait de « la tirade du nez » d’Edmond Rostand date de 1897 et elle est
gravé dans nos mémoires comme un joyau de notre littérature. Elle commence par
cette phrase : Ah ! Non ! C’est un peu court jeune homme ! On ne peut s’empêcher
d’imaginer combien cette phase a dû mettre un terme définitif à nombre de rendez-
vous galants…