On a retrouvé (un peu) la vie de Simone Michel-Lévy

Née à Chaussin, résistante, torturée, déportée, pendue, Simone Michel-Lévy est l’une des six femmes Compagnons de la Libération. Il ne restait presque rien de sa vie. En 2022, des documents oubliés ont refait surface et une bande dessinée lui a été consacrée.

0
5831
L’une des photos retrouvées en 2022. Dans la Résistance, Simone Michel Lévy choisira des noms de code romanesques comme Madame Royale ou Mademoiselle Flaubert, ou plus simplement Françoise. Au camp, ses camarades l’appellent « Françoise la comtoise ».

A Chaussin, chaque 13 avril, dans le cimetière, sonne le temps du recueillement autour du cénotaphe de Simone Michel-Lévy, native du pays, résistante, pendue le 13 avril 1945 dans le camp de Flossemburg, l’une des six femmes Compagnons de la Libération. Autour  de la tombe, Danièle Ponsot, présidente de l’ANACR Nord-Jura, évoque cette destinée, la cite en exemple. Chaque année, compte tenu de l’évolution du monde, Danièle Ponsot rappelle combien l’exemple de l’engagement de la Chaussinoise a la capacité de servir de bouclier face à la brutalisation du monde.

De Simone Michel-Lévy, il ne restait quasi rien, un grand écart entre deux photos. Sur l’une, elle rayonne avec une coiffure à la Louise Brooks, à la mode de l’époque. Sur l’autre, en 1944, elle est aux portes des enfers avec la photo anthropométrique prise à son arrivée au camp de Ravensbrück en 1944. C’était presque tout. En 2022, on a retrouvé un peu plus de sa vie. Il y a d’abord un hasard, une malle oubliée dans un grenier qui échoie dans les mains de l’héritière d’une filleule de la mère de la résistante. La malle ouverte laisse découvrir des documents qui racontent un peu de la vie de la résistante. Le tout a été remis à l’Ordre de la Libération. Il y a une partie de ses décorations, des souvenirs scolaires, des avis, des articles de presse, des lettres y compris de prison et du camp. La plupart de ces documents inédits illustrent ces pages. En cette même année, l’éditeur de bandes dessinées Bamboo lui consacre un album dans sa collection « Les Compagnons de la Libération ». Elle vient juste après, excusez du peu, les albums consacrés au général Leclerc, à Jean Moulin ou Romain Gary. L’ouvrage est signé par Catherine Valenti et Claude Plumail.

Au camp, c’était Françoise la Comtoise

Sur cette personnalité exceptionnelle, voici le témoignage de Jeannette L’Herminier, camarade du camp et qui a réussi à dessiner leur calvaire : « Je m’étais beaucoup lié d’amitié avec Simone – Françoise pour nous – à Ravensbrück, puis à Holleischen où nous avons partagé 13 mois de captivité. Elle avait tout pour m’attirer : son patriotisme, son courage, sa fidélité à sa terre natale du Jura, son intelligence à la fois intuitive et profonde, sa gaieté et sa simplicité qui lui venait du cœur et qui valait un rayonnement extraordinaire sur ces compagnes de misère. Sa voix si pure et si juste savait rompre les barreaux de la captivité pour nous enchanter et nous entraîner bien loin de notre dure condition d’esclaves exilées ». Le témoignage est paru dans la biographie que lui a consacrée Jacques Péqueriau.

La religion a créé la sainteté et l’état de grâce avec l’auréole qui l’accompagne. Pour évoquer une personnalité comme Simone Michel-Lévy, il manque des mots aussi justes. Héroïne ? Bien sûr. Est-ce bien suffisant en songeant à son allant dans le camp de concentration lorsqu’elle organise une chorale qui reprend le « qu’est-ce qu’on attend pour être heureux » de Ray Ventura ? Il y a l’idée que l’on garde de la chevalerie – indomptable, hardiesse, désintéressement aussi. Ça semble encore en deçà. Il y a aussi du cœur, du refus, de l’entrain, de la force… La langue française devrait faire un effort. En attendant, espérons que les documents découverts seront un jour visibles par ici. Au musée de la Résistance et de la déportation à Besançon ? Simone Michel-Lévy y retrouverait Jeanne L’Herminier. Les dessins du camp de Jeanne L’Herminier, où l’on voit Simone, y sont conservés.

Jean-Claude Barbeaux
Documents : Ordre de la Libération / Fonds Malfi (sauf mention contraire).

Sa croix de la Libération également retrouvée cette année. Elle lui a été accordée à titre posthume en novembre 1945. A la libération, sa mémoire est soutenue par les survivants de son réseau.
A Paris, dans son bureau de l’administration postale.
Avec ses parents.
Une lettre adressée à ses parents. On lit que son père va faire son bois à Rye.
Photo prise au camp de Ravensbrück à son arrivée le 3 février 1944.
Le cénotaphe dans le cimetière de Chaussin.
Photo : ANACR
La couverture de la bande dessinée parue dans la collection des Compagnons de la Libération.
La notification qui lui accorde le grade de commandant.

Encadré

Une vie

Le timbre émis en 1958.

19 janvier 1906. Naissance à Chaussin de Simone Michel-Lévy. La famille a également des liens avec le village voisins des Essarts-Taignevaux et la ville de Chauny (Aisne).
1921. Entrée dans l’administration des postes.
1940. Installée à Paris, elle progresse dans sa carrière et va intégrer la Direction des recherches et du contrôle technique. Refusant la défaite, elle participe à la création du réseau Action PTT, qui deviendra État-major PTT dont elle devient une dirigeante. Le réseau s’appuie sur l’infrastructure PTT pour développer le renseignement et les transmissions. Il développe son activité avec d’autres réseaux comme la fameuse Confrérie Notre-Dame. Elle se déplace dans toute la France.
5 novembre 1943. Arrestation à Paris, sur dénonciation, par des gestapistes français. Elle tombe dans les mains, plutôt les poings, de Georges Delfanne alias Masuy, incarnation de la crapulerie. Elle ne parle pas, puis elle est livrée à la Gestapo.
31 janvier 1944. Convoi vers Ravensbrück depuis le camp de Royallieu à Compiègne.
Avril 1945. Transfert dans une usine d’armement à Hollenschen, en Tchécoslovaquie. La résistante ne renonce pas. Avec Hélène Lignier  et Noémie Buchet, elles sabotent une ligne de fabrication.

13 avril 1945. Dans le camp de Flossemburg, les trois résistantes sont pendues pour fait de sabotage.
Après la guerre. Simone Michel-Lévy est faite Compagnon de la Libération, elle reçoit de nombreuses décorations à titre posthume, elle est nommée commandante de l’armée de terre.

Juillet 1952. En présence de Roger Duchet, ministre des PTT, à Chaussin, une plaque est inaugurée sur sa maison natale ainsi que le cénotaphe du cimetière de Chaussin,
1958. Elle est choisie pour la série de timbres « Héros de la Résistance ».
2007. Parution de la biographie réalisée par Jacques Péqueriau (Edition Cêtre à Besançon).

3 juin 2021. Inauguration à Issy-les-Moulineaux de la rue Simone Michel-Lévy, qui dessert le siège d’Orange.
2022. Découverte d’une malle de souvenirs et publication de la bande dessinée qui retrace sa vie.

Encadré 2

Simone et Marcel

Qu’on ne lise pas dans ses lignes un appel au déboulonnage de Marcel Aymé. Il s’agit simplement de souligner comment les destins s’accomplissent dans des périodes balayées et fracassées par les tempêtes de l’histoire. Simone Michel-Lévy est native de Chaussin. Le collège du bourg porte le nom de Marcel Aymé qui a trempé sa plume dans les paysages et les caractères du pays pour écrire La Vouivre, Les Contes du Chat perché ou encore La Jument verte. Pendant l’occupation, Simone a eu le parcours que l’on connaît. Pendant cette même période, Marcel Aymé a poursuivi sa carrière d’écrivain. Il publie des chroniques dans des journaux collaborationnistes comme Je suis partout et Gringoire. Comme ses biographes l’ont démontré, il n’y a rien à reprocher à l’écrivain durant cette période et on ne l’inquiètera pas.

Deux parcours, deux attitudes qui montrent combien la vie se compliquait dans un déséquilibre permanent. Après la guerre, le génie littéraire de Marcel Aymé s’est inscrit durablement dans le panthéon littéraire, à juste titre. Le génie patriotique de Simone Michel Lévy s’est consumé en cendres dans un camp de concentration.