Casserole

0
971
Gérard Bouvier.

Les indo-européens (2 000 ans avant notre drôle d’ère) avaient le kuar qui désignait
dans leur langue un trou. Suffisant pour l’époque. Mais bientôt le trou parut un peu
primitif pour des humains de plus en plus exigeants pour leur confort. Sans compter
le risque de s’étiaffer à l’intérieur du trou si l’on n’est pas prévenu (1) comme il était
fréquent avant l’invention du panneau (2) (3).
En 1341, la casse remplace le kuar. C’est un trou mais retravaillé en forme de
cuillère. C’était un progrès. Fallait-il s’en contenter ?
Non ! Et l’on inventa en 1583 la casserole. Les linguistes prétendent que c’était par
une suffixation diminutive de la casse. Peu importe ! C’était surtout bien pratique.
Les belges qui excellent dans la bande dessinée mais retardent de plusieurs fuseaux
horaires dans l’art culinaire appellent casserole une marmite ! Donnons-nous le
temps d’un sourire goguenard et poursuivons à feu doux…
La casserole est entrée dans la langue (je me comprends, faites un effort…) et a
rapidement donné lieu à différentes expressions : trainer des casseroles consistait à
se pavaner dans l’espace public avec plusieurs de ces ustensiles attachés à la
queue par de mauvaises ficelles. C’était un boucan (4) infernal. Et l’on était vite
repéré.
Passer à la casserole (1906) consistait à subir des assauts sexuels non consentis.
Chanter comme une casserole (1931) est une expression stupide qui pollue les
critiques musicales puisqu’on n’a jamais surpris une casserole chantant sous la
douche. Et c’est tant mieux !
Aujourd’hui la casserole est utilisée dans l’espace public (5) pour partager un
mécontentement sociétal et pour mettre à mal les élus du suffrage universel. C’est
une promotion pour la casserole, un progrès pour l’expression des peuples.
Une contrainte pour les tympans compensée par un répit pour les cordes vocales.

Notes pour faciliter la lecture :

(1)- Il vaut mieux prévenir que guérir. Sans même évoquer les déserts médicaux. J’ai
souhaité expliquer à la Marie-Madeleine qu’un homme averti en vaut deux. Elle s’est
mise à pouffer : m’étonnerait fort sinon il y a beau temps que le Fifine aurait averti
son Raoul. Portée comme elle est sur la chose, c’te gandouèle…

(2)- À noter : le panneau peut nous éviter de tomber dans le trou mais certains
tombent dans le panneau. Dès lors, où est le bénéfice je vous demande un peu ? Ne
répondez pas tous à la fois…

(3)- Les premiers panneaux de route datent de 1902 grâce à l’action des touring-
clubs et de l’Association générale automobile créée en 1895. Ces premiers
panneaux disaient « Ralentir » , « Allure modérée ». Une obsession qui perdure
aujourd’hui encore, largement ravitaillée par l’invention du radar. Le radar Mestra
206, plus connu sous le nom de barbecue, fait son entrée dans le paysage routier en
1974. Il ne prend pas de photo et il faut un comité d’accueil quelques centaines de
mètres plus loin pour faire part de la nouvelle au chauffeur fautif. C’est la naissance
d’un nouveau sport national : « faire sauter la prune ». Sport éphémère aujourd’hui
disparu comme aussi le saut sans parachute.

(4)- Les mots évoluent. A l’origine du mot, en 1624, le boucan venait du bouc, animal
réputé pour ne pas être en odeur de sainteté et déluré au point, dit-on, d’être obsédé
par l’idée insistante et répétitive de débaucher les chevrettes nonobstant la chasteté
et parfois la pudibonderie d’icelles. Le dynamisme et l’énergie mis en branle dans
cette activité produisait des bruits divers (de part et d’autre) et ainsi naquit
l’expression « faire du boucan ». C’est en 1797 que le boucan a quitté les bergeries
pour envahir l’espace public.
Certains linguistes voient un lien entre les décibels du boucan et le tonnerre de
Vulcain, dieu romain du feu. Le boucan serait alors un cousin du volcan. Pour
d’autres, l’hypothèse est sans fondement et ils préfèrent s’assoir dessus.

(5)- La casserole, piano du déshérité s’insurgeant contre son état, a été célébrée par
nos humoristes. Georges Wolinski, dessinateur de Charlie-Hebdo, mort assassiné le
7 janvier 2015 disait : « Il faut améliorer la condition féminine : par exemple agrandir
les cuisines, baisser les éviers ou mieux isoler les manches des casseroles. »
Comme chacun sait, c’était du second degré.
Pierre Dac Rédacteur en chef de l’Os à Moelle publiait dans son journal cette petite
annonce : Casserole avec trous pouvant servir de passoire, 11,40 F. Passoire sans
trous pouvant servir de casserole, 8,95 F. C’était au temps du parler franc.(6)
Hélas Wolinski et Pierre Dac nous ont quitté. Et Wolinski disait : « Le premier homme
qui est mort a dû être drôlement surpris ».

(6)- Aujourd’hui ça peut paraître hors de prix mais en ce temps-là les gens avaient
pris l’habitude de parler en franc de l’époque (parution de l’Os à Moëlle du 13 mai
1938 au 7 juin 1940).