Rubrique. Grands mots, grands remèdes : l’épée de Damoclès

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J’entends, dans le brouhaha de l’Assemblée Nationale, notre premier ministre reconnaitre qu’il a « une épée de Damoclès au-dessus de la tête ». On n’entend pas même les pleins et les déliés de son récit tant l’atmosphère est houleuse (1). Mais des souvenirs me reviennent en mémoire… J’étais encore bien jeune. Je venais tout juste d’être grand-père pour la première fois. Était-ce la pleine lune ou les fâcheux effets de la caféine ? J’avais du mal cette nuit-là à trouver le sommeil. Alors, j’inventais des histoires pour rendre la nuit plus courte et lui donner quelque utilité… J’avais imaginé un triste veuf vivant chichement de sa retraite de la SNCF, dans une HLM mal isolée et qui pestait contre son voisinage. Il faut savoir en effet qu’à l’étage du dessus vivait une vieille dame avec un chignon et un chien (2). Elle était affectée par des ballonnements sonores qu’elle entretenait, à l’insu de son plein gré, avec beaucoup de maladresse et de flageolets. Ces flatulences (3) devenaient bruyantes et ce pauvre Raoul (vous ai-je dit qu’il s’appelait Raoul ?), incommodé par les

vocalises incongrues de sa voisine en perdait son sang-froid. Il tournicotait entre ses murs en maugréant in petto -si l’on ose dire- contre « les pets de la dame au clebs » qui menaçaient au-dessus de sa tête.

Vers la cinquantaine cette histoire m’amusait. Et puis j’ai grandi, à tort ou à raison, et à l’âge de l’andropause j’ai fini par l’oublier.

Le premier Ministre m’a rappelé cette histoire dans son discours de politique générale, avec son épée de Damoclès dans la pétaudière de l’Assemblée nationale (4).

C’est déjà ça.

Quelques notes pour éclairer ce texte :

(1)- Je me souviens d’avoir reçu 3 heures de colle pour un chahut bien insignifiant au regard de ce qui se pratique, en tout bien tout honneur et dans le respect des électeurs, dans notre Assemblée Nationale. En regardant les députés vociférer et beugler dans le capharnaüm du Palais Bourbon je me suis demandé pourquoi une telle manifestation n’était pas interdite par le Préfet. Et j’ai espéré qu’aucun ado n’assistait à ce grand moment de violence télévisuelle au risque de la rejouer ensuite au collège. J’ai même regretté -moi, qui ne suis pourtant pas un nostalgique- le bon vieux temps du carré blanc. J’ai fait un rapide calcul : cela méritait environ 3 000 heures de colle. À condition bien sûr d’attraper les trublions qui risquaient fort -de droite comme de gauche- de se cacher sous leur pupitre en entonnant le devenu célèbre « c’est pas moi, c’est l’autre », et sous réserve qu’ils ne bénéficient pas d’incontournables remises de peine auto-attribuées. Et qu’ils n’aient pas -dès le lendemain- un mot des parents présentant de minables bonnes raisons médicales.

(2)- Le nombre de vieilles dames avec un chignon qui cohabitent avec un chien, défie tous les calculs de probabilité. En même temps, ça ne dérange personne.

(3)- Les flatulences dans notre époque de malbouffe sont un symptôme fréquent, un signe des temps. J’en tiens pour preuve le nombre de synonymes pour décrire cet inconfort intime. On qualifie ces orages… impétueux, de ballonnement, de météorisme, de borborygmes, de flatuosité, de tympanisme, de gaz et de vents, etc. C’est dire s’il y a là une priorité de santé publique.

(4)- Damoclès vivait au cinquième siècle avant J.C. Il était un courtisan de Denys l’Ancien, un fâcheux tyran de Syracuse. Au cours d’un banquet, rassasié de lécher son assiette, Damoclès détourna sa lèche vers son tyran bien aimé, à toutes faims utiles. Denys, qui devenait de plus en plus l’Ancien à mesure que les heures s’écoulaient, le recadra sèchement en lui expliquant que la vie d’un tyran n’avait pas que des avantages. Certes, il était exonéré d’impôts mais il avait bien trop de maitresses à satisfaire et il lui rappela fort à propos que le Viagra n’était pas encore commercialisé. Et il évoqua aussi le danger constant occasionné par les maris trompés. Pour se faire bien comprendre, Denys pria Damoclès de prendre sa place sur son trône. C’était flatteur mais il y avait un piège. Denys prit l’épée de Damoclès et la fit pendre au plafond par sa piétaille ne tenant que par un crin de la queue d’un cheval, dont j’ai d’ailleurs oublié le nom. Peu importe ! Et Denys lui dit (je vous le traduis en français d’aujourd’hui pour ne pas compliquer la lecture) : « te voilà à ma place ! profite et prend ton temps ! si le crin casse tu verras ma vie de tyran d’un autre œil… ». Sans préciser de quel œil… Damoclès failli en tourner de l’œil. Sans préciser lequel. C’est de là que vient cette expression qui fait fureur chaque fois qu’un danger plane. Tant qu’il plane, ça va mais quand il cesse de planer ça devient compliqué.