Saint-Valentin

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Depuis bien des années je vous abreuve ici de mots doux qui vous sont autant de
gros bisous.
Il est temps que je vous mette en garde. Ces mots doux (1) dont vous vous accommodiez tant bien que mal vont en voir débouler (2) bien d’autres dans l’espace public, et jusqu’à plus soif, ces prochains jours. C’est que le 14 février, le mercredi des Cendres (3), va s’embraser d’embrassades, de câlins collants et de roses rouges importées à grand frais. C’est la règle du jeu et il déplairait aux fleuristes d’en changer.
Cette fête semble née en Grande-Bretagne, au XIVème siècle, du temps où le pays était soigneusement catholique. On avait choisi cette date parce qu’on avait observé que les birds qui en avaient fait la demande -nous dirions les oiseaux- s’accouplaient ce jour-là. Enfin… c’était selon… Parfois la veille, parfois le lendemain. Comme vous et moi. Car il y a des imprévus. Mais il fallait bien trancher et ce fut le 14 qu’il vente ou qu’il neige.
C’est Charles d’Orléans, prisonnier des anglais pendant 25 ans depuis la tragique bataille d’Azincourt le 25 octobre 1415 (4), qui s’est emparé de la coutume de chez eux et qui a fait la courte échelle à Saint Valentin. Tout le prédisposait à tant d’amour : il a été décapité le 14 février 270 parce qu’il célébrait des mariages malgré l’interdiction de Rome. Et la mère de Charles, qui était un poète, se prénommait Valentine. Un fait exprès.
La Saint Valentin s’est développée aux Etats-Unis au XIXème siècle. Là où s’échangeaient des billets doux ce sont maintenant les dollars qui circulent et bien sûr l’Europe a copié ce juteux modèle. Déçu par tant de dépenses laïques, Paul VI en 1969 raye la Saint Valentin du calendrier liturgique romain.
Mais rien n’y fait : ça continue. Quand on aime on ne compte pas.

Quelques notes pour retrouver son chemin ou égarer plus encore…

(1)- Doux, d’abord dulz en 1080, nous vient du latin dulcis et qualifie ce qui en
bouche a une saveur agréable. Le mot latin dérive du grec glukus qui ne dit rien
d’autre. Et glukus a donné le glucose dont on sait le goût sucré qu’on retrouve aussi
dans les mots doux pour peu qu’on cherche un peu.

(2)- La vie des mots est amusante. Débouler vient bien sûr de boule. Débouler,
comme dévaler, débarouler et dégringoler, explique une chute qu’on aurait préférée
éviter. Quant à la boule (bole en 1175) elle est omniprésente dans bien des langues
à tel point que certains linguistes se demandent s’il n’y a pas un soupçon
d’onomatopée là-dessous.
Les boules sont mises à toutes les sauces. Si l’on perd la boule il y a de quoi se
mettre en boule. Et de quoi avoir les boules.
Je ne vous l’apprends pas : dans cette expression les boules sont assimilées aux
testicules. Mais c’est peut-être aller un peu vite en besogne car le geste qui
accompagne volontiers l’expression et qui consiste à construire avec ses mains deux
sphères disposées de part et d’autre sous la gorge, nous interroge. Je n’insiste pas
car je sais que vous vous êtes souvent posé la question et que vous avez donc vos
réponses qui en valent bien d’autres.

(3)- Cette année la Saint Valentin tombe le mercredi des Cendres. C’est moche ! Le
risque est considérable de causer des oublis qui nous seront reprochés jusqu’à la
Saint Sylvestre. Contre ce risque voici, sans supplément de prix, un moyen
mnémotechnique pour éviter cette bavure : c’est le jour où il faut descendre chez la
fleuriste.
Et faire la queue.
C’est que le calendrier liturgique romain fait fi des desiderata de la Confédération de
défense des commerçants et artisans. Pour combien de temps encore ? Et ce
calendrier a su se faire bien voir d’Exacompta et toute la bande des fabricants
d’agendas à qui il fournit des saints à la pelle pour les pages du début. Parfois avec plus ou moins de talent : Saint Anthelme, Sainte Pélagie, Saint Thècle et Sainte
Rose de Lima ont plutôt -qu’ils me pardonnent- une odeur rance de fond de tiroir
qu’une odeur de sainteté.

(4)- On a du mal à imaginer le désarroi d’un roi de France prisonnier pendant 25 ans
des anglais à ruminer la bataille d’Azincourt. Avec toutes les mêlées rendues à
l’adversaire, les touches pas droites et les cadrage-débordements ratés du fait d’un
terrain mal entretenu, particulièrement boueux et d’un arbitrage douteux. Si ! Il faut
bien le dire.