L’invité de la semaine : Martin Viverge

Alors qu'il y a trois ans le confinement s'imposait à nous, rencontre avec le responsable de la Maison de l'Adolescent à Besançon et pédopsychiatre au centre hospitalier de Novillars. L'occasion d'en apprendre plus sur les réelles conséquences de la désocialisation que les restrictions ont entrainée...

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Martin Viverge.

Martin Viverge, selon vous, la situation sanitaire du printemps 2020 méritait-elle cette assignation à résidence imposée pendant deux mois 23 heures sur 24 à l’ensemble de la population ? Ainsi que toutes les autres restrictions suivantes ?
Si on se remet dans le contexte de mars 2020, les informations médicales étaient confuses.
Le gouvernement a suivi un raisonnement médical. En médecine, lorsque l’on est pas sûr, on applique le « principe de précaution ».
Ce coronavirus était inédit, inconnu, imprévisible…  Je n’ai pas la prétention de pouvoir affirmer si oui ou non, il fallait confiner la population.
Ce que je peux toutefois observer, c’est qu’il est très facile de mettre en place des restrictions mais bien plus compliqué de parvenir à les retirer une par une.
Aussi, d’un point de vue purement démocratique, je suis rassuré de constater que chacune d’entre elles ont pu ou vont être prochainement intégralement supprimées.

Depuis plusieurs années, la France était déjà le plus important consommateur mondial d’antidépresseurs et/ou d’anxiolytiques. Or il apparait que les troubles psychologiques se sont encore lourdement aggravés depuis mars 2020. Confirmez-vous cet état de fait ?
On a effectivement à ce jour assez de recul pour malheureusement confirmer cette réalité qui peut se constater sur le terrain, dans les rapports d’activité ou dans les études.
Pour les adolescents dont j’assure la prise en charge, s’il y a eu un peu d’accalmie dans la première période de confinement, s’est ensuite mise en place une augmentation des troubles anxieux et dépressifs. Notamment des tentatives de suicide, des comportements auto-agressifs, des phobies scolaires…
Je note par ailleurs une difficulté croissante des adolescents à se trouver dans un groupe (par exemple les groupes thérapeutiques ou les ateliers pédagogiques) et à ne pas se replier sur soi.
La sociabilisation devient menaçante pour beaucoup. Les accompagnements collectifs sont plus compliqués. Indéniablement plus qu’avant.
Autre point, l’augmentation notable des passages aux urgences. Ce qui a pointé du doigt l’état préoccupant des files d’attentes que nous avions déjà partout avant cela… Le Covid-19 n’a fait qu’accentuer les carences de notre système de santé, comme les grandes inégalités entre les départements.
L’institution était déjà fragilisée, la crise sanitaire et sociale l’a aggravé.
Si l’on se tourne vers l’avenir on peut se rendre compte que des mesures ont été entreprises pour aller mieux. Les questions de santé mentale sont désormais plus facilement abordées. Y compris dans le monde du travail. Je pense par exemple aux formations aux premiers secours en santé mentale. C’est une dynamique favorable.
Cela dit, les moyens humaines restent encore très insuffisants. On a pris beaucoup de retard !
Il y a une réelle urgence à mobiliser les efforts budgétaires si l’on veut rattraper le temps perdu.

L’enseignement à distance, le port du masque en permanence en salle de classe, un contexte anxiogène très pesant, tout cela a considérablement aggravé les troubles anxieux et dépressifs chez les jeunes… Vous qui êtes au contact de cette réalité quotidienne, avez-vous des exemples ou un commentaire à ce sujet ?
Rapidement les pédiatres l’ont évoqué. L’hyper-protection des enfants avec le masque, c’est une histoire de balance  : « bénéficie-risque ».
Le pire, c’est de ne pas être en cours, sans sociabilisation. Nous nous en sommes rendus compte très vite.
Beaucoup se sont retrouvés terrorisés par ce contexte effectivement anxiogène et pesant où le décompte des décès s’affichait chaque jour à la télévision.
Selon le profil des individus, il existe une grande inégalité à la capacité de gestion des émotions, notamment du stress ou de la peur.
Tout le monde n’est pas également armé pour affronter les sensations négavtives. Sans parler des inégalités sociales qui sont encore un autre facteur aggravant…

Il faut aujourd’hui entre 3 et 6 mois pour obtenir rendez-vous chez un psychiatre. Et encore, lorsque c’est possible car beaucoup ne peuvent plus accepter de nouveaux patients… Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
L’organisation des soins en France est très spécifique…
De plus en plus, nous « les psy « , sommes amenés à faire beaucoup de coordination mais trop peu de soin.
Les différentes façons de traiter un problème psychologique sont complexes. Nous sommes parfois confrontés à des choix impossibles, essentiellement à cause de manque de moyens dont nous disposons (temps, personnel, etc…).
Alors oui, c’est vrai, on fait parfois des sacrifices dans la qualité des soins, on choisit de prioriser les cas les plus urgents. C’est d’ailleurs ce qui fait partir beaucoup de professionnels de l’hôpital… En revanche, on observe désormais qu’il y a aussi une tendance à la consommation de soins.
Une certaine « uberisation » du soin avec Doctolib par exemple.
Ce qui entraine des erreurs d’aiguillage, des rendez-vous multiples, des doublons, dont certains font artificiellement s’allonger les listes d’attente.

En définitive, quel bilan tirez-vous des trois années particulièrement difficiles que nous venons de vivre ? Et que peut-on espérer pour la suite ?
Finalement, on ne parlait pas beaucoup du Covid dans les consultations. C’est comme si cela faisait partie de la normalité des choses.
Depuis peu on recommence à en parler. J’entends de plus en plus : « Depuis le covid »…
Il a fallu un certain temps pour que cette prise de conscience s’opère.
On est peut-être faussement trop optimiste ou trop rassuré, cela devient un événement de l’histoire. La guerre est finie.
D’en faire un événement de l’histoire c’est quelque chose qui peut nous unir, un acte fondateur de solidarité et de proximité.
Mais ça peut être aussi amener une amnésie… Et l’homme étant l’homme, nous risquons de reproduire les mêmes erreurs.
Les privations de liberté, on les oublie trop vite. C’est un réflexe humain, on redevient naïf, pour ne pas penser à ce qui nous fait trop peur…
La réalité nous a réveillés, parfois même indignés. Le risque serait que l’on se rendorme.
C’est pourquoi il faut continuer à réfléchir : Comment on fait maintenant ? Comment on soigne mieux ? Comment penser autrement ?
On a été confronté à des choses qui sont le quotidien d’autres peuples à quelques centaines de kilomètres de nous.
Oublier, guérir, dépasser c’est une capacité vitale. Certes.
Mais il ne faut pas tout oublier. Et surtout, que le gouvernement n’oublie pas nos besoins…

Selon vous, puisque cela n’est visiblement plus le cas aujourd’hui, comment redonner les moyens à la psychiatrie hospitalière ou libérale de prendre en charge convenablement l’ensemble de la population qui le nécessite ?
Le service public a besoin d’effectifs importants et d’un meilleur salaire si l’hôpital veut rester attractif.
On doit redonner du sens à notre métier, à nos vocations. Davantage s’axer sur les préoccupations médicales et cliniques, et un peu moins sur les préoccupations budgétaires…
Quand on est soignant, on ne fait pas du rendement ! Notre tâche ne consiste pas à augmenter le taux de remplissage d’un service dans le but d’obtenir des dotations supplémentaires, ou parvenir à conserver celles dont nous bénéficions.
Il y a aujourd’hui une vraie crise de l’engagement et des vocations.  Les administrations commencent à en prendre doucement conscience…. quand c’est possible !
Le manque de personnel devient criant partout, même dans les lieux les plus attractifs. Dans le même temps, les admissions aux urgences augmentent toujours plus. Alors forcément, on a beaucoup de mal à apaiser les crises.