La Petite Reine

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Gérard Bouvier.

Juillet… le Tour de France. C’est cette année sa 110-ème édition. C’est dire qu’il fait
désormais parti de la farandole des moments de notre Histoire. Tout un podium ne
suffirait pas pour faire défiler nos souvenirs de la légende du Tour, de la légende des
Forçats de la Route (1).
Le Tour, on en rêve et on le fait.
On envoie du braquet. Tout à droite (2). On écrase les pédales et on laisse derrière
ceux qui commencent à faire l’élastique, ceux qui ont les grosses cuisses dès le
premier raidard. Au premier casse-patte, ils se montrent incapables d’avaler les bosses et se retrouvent en chasse-patate (3). Pas de pitié pour ceux qui sont dans le
dur et se retrouvent dans le grupetto (4). Ils pédalent avec les oreilles : s’ils n’arrivent
pas à se refaire la cerise, ils vont sauter et mettre la flèche. Celui qui ramassera le
plus gros coup de bambou va se retrouver lanterne rouge.
Cet après-midi, j’ai la giclette. J’ai mis en route avant le ravito histoire de montrer le
maillot. Ils sont restés scotchés à la route et je les ai distancé à la pédale. Ne croyez
pas que j’avais un bon de sortie (5). Au contraire j’avais la pancarte. Mais je me suis
fait pêter les varices et j’ai flingué à tout-va. Ça grimpe ! Je me mets en danseuse : il
faut que je bascule en premier car certains descendent comme des fers à repasser.
Je sais qu’après la flamme rouge dans l’emballage final je vais mettre le onze dents
et je saurais frotter sans trop prendre le vent. Comme j’en ai gardé sous la pédale et
que je ne suis pas trop entamé je vais leur mettre un éclat et je vais faire le trou. Je
vais les enrhumer. Ils ont grillé leurs cartouches, ils sont cramés et ils ont renoncé à
me marquer à la culotte (6). Sûr qu’ils vont rester en carafe et beaucoup vont passer
par la fenêtre.
Soudain, je me réveille en sursaut.
Comme beaucoup de grands sportifs de juillet je me suis endormi devant France 2.
Pourtant j’aime tant Marion Rousse (7).

Notes pour une meilleure compréhension de ce texte un peu technique…

(1)- En juin et juillet 1924, Albert Londres, grand reporter, publie dans Le Petit
Parisien une série d’articles sur le Tour de France. Alerté par les frères Pélissier,
grands champions de l’époque, sur la sévérité du règlement de la course, il a voulu
se rendre compte par lui-même et il suit le Tour. C’est un italien Ottavio Bottechia qui
l’emporte. Les Pélissier à bout de force abandonnent. Dans un bistrot de Coutances,
Albert Londres recueille leurs propos désabusés. C’est ce jour-là que nait
l’expression « les forçats de la route » qu’on nous ressert tous les ans en juillet.

(2)- Grand plateau à l’avant, petit pignon à l’arrière, c’est ainsi que le grand Fignon
s’est offert deux Tours sur un plateau en 83 et 84.Quand la chaine est envoyée sur le
grand plateau et le plus petit pignon (tout à droite ; par exemple 53 x11) le vélo
parcourt plus de 10 mètres par coup de pédale. Mais l’effort « pour emmener ce
braquet » devient considérable et ne peut être soutenu longtemps.

(3)- « Purée ! J’avais pas la frite… Je me suis retrouvé en chasse-patate » signifie
qu’on s’est retrouvé piégé, décroché de ceux de l’avant mais pas encore rejoint par
ceux de l’arrière. C’est un grand moment de solitude : on n’espère plus rejoindre le
devant ; on redoute d’être rattrapé par l’arrière et de finir l’étape anonyme et épuisé.
C’est une situation inconfortable qui n’annonce rien de bon et qui ne met pas à l’abri
des propos railleurs des commentateurs.

(4)- Le grupetto c’est un petit groupe d’attardés qui se rassemble à l’arrière en
renonçant à toute ambition. Il est judicieux que figure dans le groupe un fort en math
parce qu’il va falloir, jusqu’à l’arrivée, calculer en temps réel le retard acceptable pour
éviter d’arriver hors des délais synonymes d’élimination. On y gagnerait une grasse
matinée le lendemain mais une belle remontée de bretelles en soirée.
Le grupetto porte un nom italien car en faire partie est un peu déshonorant et il est
préférable que notre chauvinisme soit épargné.

(5)- Un coureur a « un bon de sortie » quand il n’est pas dangereux au classement et
qu’un peu de gloire lui est accordée pour service rendu. Il est autorisé à s’échapper
pour aller montrer le maillot aux télévisions. Ça n’est pas une friponnerie, c’est un
sous-produit de la charité chrétienne égaré dans le monde impitoyable des deux
roues. À charge quand même de renvoyer un jour l’ascenseur.

(6)- Le marquage à la culotte n’est pas une inscription sur les sous-vêtements pour
les retrouver après leur passage à la machine à laver. Car le Tour n’a rien d’une
colonie de vacances. Rien à voir non plus avec votre voisine de camping qui ayant
commencé sa cure de « Comme j’aime » un peu tard verrait l’élastique de son string
s’incruster dans ses bourrelets. En fait, il s’agit d’une expression du monde sportif
des années 20 qui signifie surveiller un adversaire comme le lait sur le feu pour ne
pas se laisser déborder par ses initiatives. Les américains disent « être sur quelqu’un
comme le blanc sur le riz ».

(7)- Maron Rousse, championne de France de cyclisme féminin le 23 juin 2012, est
désormais consultante sur France 2 et directrice du Tour de France Féminin. Elle est
la compagne de Julian Alaphilippe -double champion du monde- avec qui elle a un
fils Nino qui sera Champion de France vers 2045. Nino Defilippis fut champion d’Italie
sur route en 1960 et 1962. Parfois l’Histoire fait des clins d’œil qu’on plisse.