Installés en Côte d’Ivoire, au Mali ou au Maghreb, les brouteurs fleurissent sur le net et font d’innombrables victimes au quotidien. Leur arme : l’Amour. Cela serait presque beau et romantique si tout cela n’était pas de l’arnaque (avec un grand « A » là aussi !) dans le but de soutirer de l’argent à la victime. Ils sont présents sur tous les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, TikTok, LinkedIn, Twitter… Le terme brouteur est employé afin de désigner des êtres se nourrissant sans grande difficulté. On les assimile alors à des bovins qui n’ont qu’à baisser la tête et brouter l’herbe qui leur est gracieusement offerte.
Tout commence par un message simple, d’une sincérité à toute épreuve prompte à nous émouvoir au plus profond de nos entrailles : « J’ai vu votre profil, vous avez l’air charmant, pouvons-nous faire plus connaissance par message privé ? » Séduite (qui ne le serait pas ?), la proie s’empresse d’envoyer un message au bel et sombre inconnu (ou à la sublime bombe blonde doublement avantagée) qui aurait flashé sur son humble personne. Très vite, le dialogue s’engage et bien évidemment, le brouteur tombe irrémédiablement (et incroyablement vite) amoureux de sa proie. Veuf ou divorcé, avec ou sans enfant, travaillant dans l’armée ou en tant que revendeur de voiture, l’arnaqueur se fait passer pour un homme malheureux (ou une femme fragile, déçue des hommes) ayant perdu foi en l’amour. Il se crée un faux profil sur les réseaux, à partir de profils réels de personnes séduisantes.
Bien que se disant fragilisé par l’amour, il déclare rapidement sa flamme à la victime en qui il avoue avoir confiance. Il sent qu’avec elle, c’est différent, qu’il pourrait l’aimer, la chérir jusqu’à l’infini, la choyer comme jamais… Qui pourrait rester indifférent à tant de bonheur à venir ? Certainement pas notre malheureuse victime qui, aveuglée par ces promesses d’avenir radieux, se plaît à croire à ses mots. Ce ferrage peut prendre quelques heures ou quelques semaines, en fonction du brouteur : un tout jeune dans les affaires aura tendance à précipiter les choses (sa victime est la femme de sa vie au bout de 2h14 minutes environ) tandis qu’un brouteur plus expérimenté prendra son temps, laissant planer le doute…jusqu’au jour où les huissiers frappent à sa porte parce qu’il n’a pas payé l’électricité et Internet et que, fichtre, il se retrouvera très bientôt sans aucun moyen de communiquer avec sa dulcinée…A moins que … A moins que cette dernière ne lui envoie une somme d’argent conséquente (à croire qu’Internet est hors de prix dans son coin perdu de la France d’où il prétend venir !). Cette somme est envoyée via des coupons disponibles aux bureaux de tabac, appelés PCS (Prepaid Cash Services). Un numéro est attribué et, c’est tout simple, il suffit de le redonner à notre malchanceux qui risque la coupure de courant.
Puis, c’est l’engrenage : des frais improbables pour venir voir sa victime par exemple, des frais de justice sinon il ira en prison (rapport à son hystérique ex-compagne, vous comprenez !) … La victime, amoureuse transie, paye sans renâcler, sans se poser de questions. Des sommes parfois considérables s’envolent dans les airs, par centaines de milliers d’euros parfois. On pense, par exemple, à cette sexagénaire de Belgique qui se fait escroquer de plus de 200 000 euros en quelques mois seulement par un certain Philippe, dont la mère malade avait besoin de soins onéreux. Puis c’est lui qui devait subir une intervention et enfin, pour toucher un héritage de 2 millions d’euros, il devait payer des avocats, des frais de succession hallucinants, des notaires…La vieille dame réglait tout rubis sur l’ongle, jusqu’à vendre son appartement en Espagne*.
Dialogue avec mon brouteur
J’ai personnellement eu affaire à ce genre de personnages et j’avoue m’en être délectée. N’ayant aucun désir de fricoter ou de me laisser séduire, j’ai joué le jeu avec lui dans le but de le démasquer mais surtout de voir jusqu’où ils sont capables d’aller. J’avoue ne pas avoir été déçue et j’ai passé quelques soirées à échanger avec lui. Ce fut particulièrement édifiant, dès son premier message :
L’orthographe et la grammaire approximatives ont été un indice primordial, sans parler de la syntaxe hasardeuse. S’en sont suivis des messages hautement romantiques de sa part, parfaitement incompréhensibles, voire loufoques de la mienne. A aucun moment mon brouteur ne s’est douté de quoi que ce soit. Dans l’ordre, je lui ai fait croire que j’avais des panaris au mollet, je lui envoyé une photo d’une femme au physique disgracieux qu’il a qualifiée de « ravissante ». J’ai enchaîné sur mon amour immodéré pour les frites ( !! ), puis sur ma profonde passion du tricotage de caleçon (photo à l’appui). Je l’ai ensuite affublé d’un surnom ridicule que la décence m’empêche de citer ici (pas très élégant mais il a accepté…De son côté, il m’appelait Doudou), et surtout, je lui ai avoué que les gens qui me mettaient en colère brûlaient instantanément. Je lui ai raconté comment j’avais mis le feu à mes parents (ce qui m’offrait un héritage conséquent), puis au pauvre facteur et enfin à mon lapin. C’est ce dernier qui aura eu raison de la crédulité de mon brouteur qui s’était présenté comme étant militaire, divorcé et très malheureux en amour.
Pour arriver à leurs fins, les arnaqueurs sont prêts à tout accepter, pourvu qu’en face, la personne semble désespérée et prête à tout lui donner.
Un numéro d’aide
Pour les victimes, ce genre d’arnaque n’a rien de drôle. Outre les pertes d’argent parfois conséquentes, elles culpabilisent surtout d’avoir été aussi naïves. Généralement fragiles émotivement, les victimes se retrouvent avec un amour-propre profondément blessé. Des numéros d’aides existent, pour signaler les arnaqueurs mais également pour apporter une aide psychologique aux victimes : 130 associations existent partout en France. Pour connaître la plus proche de chez vous, contactez le 116 006. L’appel est gratuit et disponible 7 jours sur 7. Vous avez également la page « Stop escroqueries, informations et signalements », présente sur les réseaux sociaux, terrains de chasse privilégiés des arnaqueurs aux sentiments, ainsi que le numéro mis en place par la police nationale, le 0805 805 817.
Comment savoir avec pertinence si le profil est faux ? Avec trois réponses « vrai », vous pouvez déjà émettre de sérieux doutes…
* Témoignage complet sur www.capital.fr