Des mots, démodés

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Gérard Bouvier.

Notre langue est riche de bien belles expressions qui reposent sur un arrangement
subtil de nos mots. J’aime beaucoup « bayer aux corneilles »… « avoir un coup de
foudre »… Par-dessus tout j’aime « être comme un coq en pâte »…
Chaque année, une kyrielle d’expressions et de mots nouveaux viennent enluminer
nos échanges. Et, pour les meilleurs d’entre eux, ils entrent dans nos dictionnaires.
Ils poussent et bousculent les mots anciens. Frappés par l’usure du temps ces mots
sont estampillés « désuets » et ils sont appelés à disparaitre comme a disparu la
mode des crinolines et des perruques poudrées.
Du moins le croit-on… Car il est des mots qui résistent et s’accrochent. On les entend
encore ici ou là alors qu’ils sont morts depuis belle lurette. On n’a pas même le
temps de sursauter que la phrase suivante nous en fait perdre la trace. Ils ont parfois
usé de subterfuges pour conserver une place dans nos conversations. Ou bien alors,
personne ne les connait mais ils s’invitent incognito, forçant la porte comme font les
pique-assiettes dans les buffets mondains.
Ainsi j’entendais tantôt une expression disparaitre « au fur et à mesure » du temps
qui passe.
Ce fur est ancien. Il désigne en 1130, venant de forum, le prix d’une opération faite
sur un marché. Ainsi disait-on « à nul fur » pour dire « à aucun prix ». Mais ce fur est
trop court. Bientôt on ne le comprend plus. Vers 1800, le fur disparait. Mais on se
rend aussitôt compte qu’il était bien utile. Et le fur nous manque. Voilà qu’un
stratagème va lui redonner sa vertu. Quelqu’un nous dit : « au fur et à mesure ».
C’est redondant puisque le fur est déjà une mesure mais Furetière en 1690 dans son
dictionnaire universel donne son aval. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui encore, il court, il
court le fur, sauvé par… Furetière.

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