Rubrique. Grands Mots Grands Remèdes : Certificats

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Docteur Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

Comme tous les ans fin août -et depuis 20 ans- on revient dans les médias sur l’inutilité des certificats médicaux demandés à la rentrée en diverses occasions, l’idée étant, en cas d’accident, de transférer la responsabilité sur le signataire du document (1).
Voici le texte que j’écrivais il y a 30 ans reproduit dans mon livre « Docteur il faut que vous me mettiez ! ».


Monsieur le Président de la Fédération,
Je viens de remplir un certificat de non contre-indication à votre merveilleux sport pour qu’un de mes patients obtienne sa licence.

Vous me demandez sur imprimé « son périmètre xiphoïdien en expiration, la date de son dernier contrôle tuberculinique, ses antécédents médicaux, le dessin de sa plante des pieds et combien je trouve de centimètres lorsqu’en position debout sur la table, les mains cherchent à toucher le plan au-dessous du plan des pieds ». (*) (2)

Vous me précisez que cette fiche est « destinée à être conservée par le club » ce qui ne me rassure pas sur la confidentialité des antécédents médicaux ni de la plante des pieds de mon patient. (3)

Vous ajoutez que ce dossier « incomplètement rempli, sera considéré comme non valable », empêchant du même coup la pratique de votre sport par mon patient.

Pouvez-vous à votre tour avoir l’obligeance obligatoire de me faire parvenir dès que possible et même avant, le périmètre en centimètre(s) de votre mollet gauche, le nombre total de vos doigts tous membres confondus et la racine carrée de votre distance œil-genou en millimètre(s) lorsque vous êtes à plat-ventre sur un tabouret à trois pieds ?

Votre réponse incomplètement remplie serait considérée comme archinulle pour un Président de Fédération qui se doit de donner l’exemple.

Trente ans plus tard, j’attends toujours la réponse mais les demandes de certificats idiots continuent pour le plus grand déficit de la Sécu et le plus grand encombrement des salles d’attente. (4)

(*) Cette demande de certificat est bien sûr authentique. (5)

Notes en vrac :

(1)- On appelle « marronnier » un sujet d’article qui revient de façon récurrente dans la presse. On dit que l’origine de l’expression viendrait d’un marronnier du Jardin des Tuileries dont les premières feuilles marquaient le début du printemps ce qui donnait un sujet d’article facile pour les journalistes en mal d’inspiration. Bien pratique pour les écrivains du dimanche victime du syndrome de la page blanche. Je peux comprendre.

Entre 1949 et 1967, Geneviève Tabouis dans sa rubrique « Les dernières nouvelles de demain » commençait invariablement ses chroniques par la phrase : « Attendez-vous à savoir… ». Depuis l’usage immodéré des « marronniers », il devient plus facile de savoir de quoi demain sera fait dans nos journaux.

Pour la rentrée, outre les certificats médicaux inutiles mais ô combien indispensables, nous aurons à parler -comme chaque année depuis 60 ans- du poids du cartable. Je vous rassure : il est toujours aussi lourd et nous aurons encore cette fin de siècle pour parler des indispensables mesures à prendre d’urgence et même bientôt pour épargner enfin le dos de nos enfants.

Nous aurons droit aussi aux diverses méthodes pour se remettre en forme après les excès en vacances, les meilleurs moyens pour entretenir son moral quand arrive l’automne, les organisations à mettre en place pour une rentrée sereine au bureau, les bonnes résolutions de la rentrée. Il suffira de reprendre celles de l’année dernière. Pour les conseils médicaux, toujours très en vogue, la spasmophilie étant en perdition il faudra nous tourner plutôt vers les régimes détox.

(2)- C’était une façon de me moquer et on appelait ça, au milieu du XXème siècle, de la « mise en boite ». Depuis et assez récemment, la mise en boite est devenu « le second degré ». Cette classification, calquée sur les niveaux de gravité des brûlures, a fonctionné quelques années mais avec l’essor des fake news le second degré n’est souvent plus compris. Et nous devrions bien l’éviter.

(3)- Je vous le demande un peu : qui aimerait voir sa plante des pieds circuler dans les archives administratives de clubs de volley ?

(4)- Ça y est voilà que je fais des hypallages ! Dire qu’un certificat est idiot s’appelle une hypallage (ou transfert d’épithète) car naturellement jamais personne n’a croisé de son vivant de « certificat idiot ». C’est celui qui demande le certificat qui pourrait à la rigueur être traité d’idiot si l’on n’avait pas peur de le fâcher et qu’il nous demande un certificat qui l’atteste.

À noter qu’hypallage est un mot féminin. C’est déroutant quand on sait qu’un corsage est masculin et qu’un corps sage n’a pas de sexe.

(5)- Dans les années 80, un patient me demandait un certificat pour la pratique du billard. Comme je m’étonnais de cette demande pour un sport de queue et de boules qui me paraissait compatible avec la survie des plus fragiles, le patient me rassurait aussitôt : « Vous savez, je ne pratique pas vraiment mais comme je suis trésorier du club, il me faut une licence et donc un certificat ».