Lorsque l’on met un bulletin de vote dans une urne, se pose-t-on la question d’une société plus juste à l’issue de l’acte républicain et démocratique que l’on vient de faire, m’a demandé ma voisine l’autre jour en cadenassant son vélo.
Bonne question, mais la justesse, est-ce encore une préoccupation ? La plupart d’entre nous essayent de joindre les deux bouts pendant que ceux qui pourraient la rendre plus équitable, cette société, constatent et entretiennent leur égoïste pouvoir, j’ai répondu à ma voisine en précisant que je ne mettais pas tout le monde dans le même sac, mais que je n’aurai jamais assez de cette chronique (qui utilise l’humour le plus souvent) pour dire à quel point je sens le danger monter en France et dans le monde.
C’est parfois imperceptible, une attitude dans les transports en commun, une formulation de réponse dans un groupe WhatsApp, un regard qui manque de bienveillance, un post sur Facebook, mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les grands perdants dans l’affaire seront l’humanisme, la tolérance, le partage, la dignité ou l’empathie.
Au contraire, les gagnants auront pour nom : la haine, le mépris, la honte, l’intolérance, l’injustice, les incivilités. On leur dressera des statues. Mal nommer les choses, disait Camus, c’est ajouter au malheur du monde, j’adore cette phrase qui est une clé essentielle, mais je dirais qu’en 2024, se taire c’est participer à la misère du monde et à la construction d’une société aveugle de ses injustices.
Et parler c’est voter. Les élections européennes arrivent, il y aura peut-être des débats intéressants, des échanges constructifs où l’on nommera les choses pour ce qu’elles sont, pas pour ce qu’elles peuvent rapporter dans les urnes, espérons-le.
Nous avons un peu de temps devant nous pour réfléchir et ainsi éviter la victoire de l’étroitesse d’esprit et de vue et, c’est d’ailleurs souvent les mêmes qui les poussent, les cris qui disent que rien ne va. Ceux-là n’ont pas d’argument ; c’est leur job de répéter que c’est la merde, alors qu’ils se vautrent dedans comme dans un bain chaud.
Méfions-nous de ceux qui se sentent pousser des ailes de géant, qui nous racontent que c’est si simple de tout changer, comme l’eau des aquariums, alors qu’ils surfent sur le flux et le reflux pollué de leur haine des différences. Nous ne sommes pas des poissons qui ont tout oublié au tour suivant.
Nous sommes doués d’un odorat sans faille pour sentir les idées rances qui ont fait basculer le monde déjà, nous ne sommes pas amnésiques, on peut voir la manœuvre, la marche arrière, la descente aux enfers, les virages dangereux. La France n’est pas une voiture arrêtée au bord de la route, en feu de détresse.
La France est pleine d’énergies formidables, de gens précieux, de douceurs et de joies, mais notre société a plus que jamais besoin de ses citoyens pour bien nommer les choses. Et trouver plus de justesse, a conclu ma voisine.
par Eric Genetet