Rubrique. Que d’eau ! Que d’eau !

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Visitant les inondations de la Garonne à Toulouse le 26 juin 1875, Patrice de Mac-
Mahon, président de la République s’exclama avec beaucoup de lucidité : « Que
d’eau ! Que d’eau ! » (1). Comment mieux définir en si peu de mots une inondation
catastrophique (2)? On sait bien qu’une phrase courte est souvent plus efficace qu’un
déluge de mots et qu’un torrent de larmes ne ferait qu’ajouter de l’humidité au
désastre.
Le préfet lui répondit sans se mouiller beaucoup : « Et encore, Monsieur le Président,
vous n’en voyez que le dessus… »
C’est un fait : ça a ciaffé dru ce printemps (3) et ce sont toutes ces rabasses qui se
sont abattues sur nos têtes ces derniers temps qui me font penser au grand homme.
Car on a beau dire, il faut bien reconnaitre qu’en ce mois d’avril il a fait du temps et
qu’on a essuyé des batrasses jusqu’à plus soif ! (4).Peu de jours sans qu’une
tonnée, une craquée dans un ciel crouté ne se termine par une bonne radée (5). Et nous voilà à gadouiller dans la marousse, à patasser dans les gouillats, gaugés
jusqu’à l’os et jusqu’à la panosse (6). À attendre tout un compte de temps que le
temps se remette.
Si on en a reçu des rossées ! Par grande sachées le ciel dégoulinait sur nos têtes
comme vache qui pisse.
Après quelques inquiétantes frelées, le radoux est de retour. Mais restez prudents,
en mai la pieuge n’est jamais loin.
La Marie-Madeleine dit que c’est quand même un monde que nous autres on soit
toujours à jérémier pis à pleurer misère et qu’elle -de diouss !- elle préfère une
fricasse (7) que d’être mouillée de chaud. Elle ajoute : « arrête don voir, il a fait cru
mais on n’a déjà pas eu à dépeller ! ». J’ai dit comme elle.

Notes pour plus de clairvoyance :

(1)- On dit que Mac-Mahon avait mémorisé cette phrase courte pour en faire usage
ensuite à bon escient. Et ce fut à Toulouse que l’occasion se présenta. Aujourd’hui
on attribue plutôt cette phrase à Eugène Labiche dont un héros, en 1865, contemple
l’Océan avec un air songeur avant de décrire sommairement la scène en
s’exclamant : « Que d’eau ! Que d’eau ! »
Peu importe ! L’important est que cette fichue pluie cesse.

(2)- La crue de la Garonne du 23 juin 1875 a détruit 1 400 maisons et tous les ponts
de la ville sauf le Pont-Neuf. Ce fut un choc et d’importantes digues furent construites
pour l’éviter ensuite. Il y eu aussi de profondes modifications sur les autorisations de
construire : obligation de fondations jusqu’à un terrain solide ; fondations en
maçonneries ; murs construits en matériaux solides excluant l’usage de terre ; murs
dépassant de deux mètres le niveau de la crue de Juin 1875.

(3)- Le comtois « ciaffer » est un onomatopée. Dit en termes moins savants c’est un
mot qui reproduit le bruit que fait une pluie violente et cinglante. Ciaff !

(4)- Une batrasse comtoise est, issue du verbe « battre », une pluie battante.

(5)- Une radée est une grosse mais brève averse qui nous vient du Lyonnais et du
Dauphiné. Non pas en suivant les vents porteurs mais parce que le mot a connu son
apogée dans ces contrées lointaines avant de nous être confié du fait d’un voisinage
de plus en plus intime depuis l’essor de la diligence et de la malle-poste. Rade vient
de rapidum : rapide, impétueux, violent.
Une rade est un bassin où les bateaux trouvent un bon mouillage. Meilleur encore
s’ils essuient une radée.

(6)- La panosse est une serpillère. On aurait tort d’insinuer « comme chacun sait ! ».
Car la serpillère est sur le podium des mots déclinés de bien des façons selon le sol
où elle serpille. En Comté c’est donc la panosse, du bas latin panusse : morceau
d’étoffe. Dans le Nord c’est la wassingue influencée par le flamand wassching, action
de laver, proche de l’anglais to wash. A Perpignan c’est la frégone, à Narbonne la
peille, à Bordeaux la cinse et en Normandie la toile. Dans les Ardennes c’est la loque
et comme c’est un mot qui peut être ambigu on le confirme aussitôt : « une loque à
loqueter ». En Provence c’est une pièce, qui est le rétréci au lavage de « pièce à
frotter ». En Lorraine c’est le torchon de plancher.
Un conseil : si vous partez en vacances loin d’ici n’oubliez pas d’emporter votre
panosse. Ça vous mettra à l’abri de bien des déconvenues.

(7)- La fricasse est un froid vif. Construit sur la racine frigus, le froid. On doit à cette
racine le réfrigérateur, la frigidité, la fraîcheur et d’être frigorifié en cas de grosse
fricasse. Comme à Mouthe, ajouteraient les parisiens, dont c’est une des rares
références comtoises.