L’invitée de la rédaction : Manon Suchet

Rencontre avec la coordinatrice de Tinternet, association d'éducation numérique populaire qui intervient principalement dans les établissements scolaires de Franche-Comté mais aussi auprès d’adultes. Non pour diaboliser l’outil qu’est le Web mais pour donner des clés afin d’en éviter les pièges.

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Manon Suchet.

Quelles missions s’est fixée votre association ?
Nous souhaitons éduquer et sensibiliser jeunes comme adultes aux bonnes pratiques à adopter sur internet, en leur apportant des conseils. Si Internet est un formidable outil, il faut toujours avoir en tête que son usage entraine des risques que nous voulons prévenir pour éviter d’être victimes des dérives possibles. Nous sommes aujourd’hui cernés par les écrans, téléphone, ordinateur, tablette, console, télévision… La cyberdépendance est l’un des premiers risques encourus. Une utilisation excessive peut avoir des conséquences sur notre santé physique et psychologique, par exemple un seuil de tolérance altéré, des frustrations et colères, autant de signes à surveiller.

Pourquoi devons-nous être attentifs à notre identité numérique ?
Elle est comme la carte d’identité, mais sur Internet. Elle rassemble en ligne toutes les informations disponibles à notre sujet, donc toutes celles que nous voulons bien donner sur notre vie, professionnelle mais aussi personnelle. Ces traces numériques peuvent être laissées de manière volontaire ou involontaire. On peut choisir de maitriser ces éléments. Il faut savoir que dès qu’une photo ou une vidéo de vous est mise en ligne, elle ne nous appartient plus vraiment… Il est donc important de savoir où mettre le curseur entre ce qu’on veut garder pour nous et le reste : domiciliation, santé, préférences amoureuses, famille, choix politiques, ces infos doivent-elles être dévoilées au grand jour ?
C’est un choix, sachant par exemple qu’un employeur peut parfaitement s’en servir lors d’un recrutement.

Qu’en est-il des fameuses données personnelles dont on parle souvent ?
Quand on utilise les logiciels ou plateformes des GAFAM, c’est-à-dire Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Il faut savoir que nos données sont captées et que c’est tout à fait légal puisque c’est écrit en toutes lettres dans les conditions générales d’utilisation des réseaux sociaux, comme Instagram par exemple. Ces données seront exploitées à des fins publicitaires mais aussi pour proposer des contenus adaptés à vos goûts. Ce que les gens ignorent souvent c’est que même leurs messages privés sont concernés et que ces sociétés y ont accès pour tout connaitre de leurs utilisateurs…
Idem pour les photos. Par exemple, une adepte d’Instagram a vu une photo d’elle avec son bébé utilisée dans une pub pour l’allaitement. Elle n’a rien pu faire puisqu’en s’inscrivant sur ce réseau, sans le savoir sans doute, puisqu’elle n’a pas lu les conditions, elle a accepté que l’entreprise s’approprie ses photos !

Les réseaux sociaux ont une place importante dans nos vies. Quel est votre avis sur ce point ?
Ils ont été conçus et façonnés pour nous faire réagir et maintenir même parfois un climat anxiogène chez les utilisateurs en jouant sur les leviers émotionnels…
C’est ainsi qu’on garde les gens en ligne le plus longtemps possible, ce qui génère des revenus à la société éditrice. Le but est donc commercial mais avec les contenus proposés, il peut aussi avoir un impact politique avec de la désinformation et des rumeurs qui circulent en nombre. Il est donc important de faire de l’éducation aux médias pour comprendre ce qu’on voit et ne pas se laisser abuser. Surtout qu’il est aujourd’hui de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux, notamment avec l’émergence de l’intelligence artificielle. C’est d’autant plus dangereux que les algorithmes démultiplient la visibilité offerte à ces contenus.

Vous sensibilisez également au cyberharcèlement, un vrai fléau ?
Les actes agressifs en ligne sont en effet nombreux et chacun doit bien comprendre qu’on ne parle pas d’actes répétés par une seule et même personne mais plutôt de la démultiplication qu’entrainent les réseaux sociaux. Concrètement, mettre un commentaire méchant est un acte déjà violent, mais quand il s’ajoute à des dizaines d’autres, il participe à un déferlement collectif de colère qui peut avoir des conséquences dramatiques.
Insultes, moqueries, chantages, menaces, rumeurs…il faut se rendre compte de l’impact désastreux que cela peut avoir notamment sur des ados. Pareil en cas de diffusion de nudes, des photos ou vidéos qui auraient dû rester dans la sphère privée et qui en étant jetées à la vue de tous peuvent détruire une victime.

Quel avenir voyez-vous aux outils numériques ?
Pour contrer ces dangers, notre association veut éduquer. C’est par la connaissance que passe une utilisation sereine d’Internet. Il faut avoir des clés de compréhension afin de maitriser ces outils qui envahissent notre sphère privée comme professionnelle. Il faut développer une véritable conscience politique sur ces sujets qui peuvent être graves dans notre vie personnelle mais aussi avoir des enjeux inquiétants pour la démocratie par exemple.
Sans oublier pour autant qu’Internet est par ailleurs un moyen de s’ouvrir au monde, de se construire et de partager…
A chacun de réfléchir à toutes ces questions et d’être vigilant !