L’invité de la semaine : Stéphane Hardy

Alors que le film Napoléon de Ridley Scott vient de sortir au cinéma, l’Adjudant-Chef Stéphane Hardy, réserviste et sous-officier traditions du 511ème Régiment du Train d'Auxonne, (et spécialisé sur la jeunesse militaire du jeune Napoléon Bonaparte qui fut en garnison à Auxonne de 1788 à 1791), relate la stricte réalité historique. Contrairement à l’œuvre cinématographique qui semble s'être affranchie de certaines libertés avec les faits... C'est d'ailleurs ce qu'il a pu ressortir du ciné-débat que le militaire a animé ce vendredi 1er décembre, au cinéma Les Tanneurs à Dole.

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Stéphane Hardy

Stéphane Hardy, comment l’auteur, conférencier et spécialiste que vous êtes sur la vie de Napoléon Bonaparte « appréhende » ce film ?
Avec une hauteur d’esprit car avant tout ce n’est qu’un film destiné à divertir et non pas à affirmer haut et fort que les événements de ce pan de notre histoire de France, ne se sont pas déroulés comme les témoins directs de cette période les ont vécus et écrits. Il convient de ne pas se focaliser trop précisément sur les moments forts qui sont présentés dans ce film en raison de leurs incohérences, et tenter d’en faire abstraction pour ne voir, finalement que le jeu des acteurs, le rythme des scènes, les arrières plans et la musique. Néanmoins, les « Napoléoniens » de la première heure, dont je fais partie, ne pourront pas rester insensibles et apporteront une critique, somme toute légitime, quant aux faits véridiques non respectés par le réalisateur. Un film historique, plus précisément sur cette vie incroyable vécue par Napoléon Bonaparte, est toujours un évènement.

Il semblerait que l’œuvre cinématographique de Ridley Scott soit controversée. Certains vont même jusqu’à évoquer « une Histoire de France humiliée », ou encore « un empereur non respecté ». Notamment concernant les batailles de d’Austerlitz et de Waterloo…  Qu’en est-il précisément selon vous ?
Je ne pense pas que notre histoire de France ait été humiliée, simplement, d’un point de vue historique, les faits ont été interprétés par le réalisateur. Par conséquence, Ridley Scott a fait fi de l’histoire connue et a marqué au fer rouge son empreinte dans notre mémoire collective. C’est un Napoléon sombre qui est présenté, c’est ce que le réalisateur a voulu montrer. Austerlitz et Waterloo sont effectivement deux batailles décisives.
Austerlitz, dit la bataille des 3 Empereurs reste un modèle de stratégie encore enseignée dans les académies militaires. Alors en infériorité numérique, Napoléon va réussir à couper les forces de l’ennemi en deux afin de l’attaquer par ses flancs. Quant aux tirs des
canons sur un lac gelé, je précise que c’était des marécages, que l’ennemi s’enfuyait et non pas montait à l’assaut des positions françaises. La légende précise qu’avant même la fin de la bataille, il se reposa en annonçant que la victoire était acquise.
Waterloo, nom difficile à prononcer pour les passionnés Napoléoniens, restera à jamais une défaite qui précipita définitivement la chute de l’Empereur. Il aurait pu remporter cette bataille si les renforts attendus du maréchal de Grouchy avaient pu arriver avant ceux du général Blücher, prussien. Napoléon ne chargea pas à Waterloo, les forces françaises furent mises en déroute par les troupes prussiennes, plus fraîches. La victoire est attribuée au général britannique Wellington mais c’est grâce au général prussien que les coalisés ont pu vaincre les Français.

On y devine aussi des rapports souvent difficiles, voire tourmentés ou conflictuels avec Joséphine.
Etait-ce réellement le cas ?
C’est une romance sur fond d’intérêt, et ce depuis leur rencontre. Marié avant le départ pour sa première campagne, celle d’Italie, le général Bonaparte ne cessera de lui écrire avec passion. Joséphine, veuve, cherche de son côté un homme qui lui permettra de pouvoir consommer sans modération une nouvelle existence. Et ce, quitte à commettre de nombreux excès (linge, meuble, bijoux, etc.) mais dont le consul et futur Empereur s’acquittera de ses dettes non sans remontrances. Joséphine sera à
ses côtés, dans les pénombres des salons, là, où la politique se décide. Napoléon le sait bien, il est conscient qu’elle va lui permettre d’accéder à des cercles de décision et combien même si elle le trompe, il reviendra vers elle. C’est une femme audacieuse, qui sait séduire et obtenir ce qu’elle désire.
Il est indéniable qu’ils furent deux amants qui se sont aimés profondément et passionnément, mais dont l’intérêt commun reposait sur l’ascension sociale, politique et militaire.

Alors qu’il  n’était encore que Lieutenant, Napoléon a passé plusieurs années de sa jeunesse à Auxonne. Pouvez-vous résumer cet épisode de sa vie ?
Le 15 juin 1788, âgé de 19 ans, le jeune lieutenant en second Napoleone de Buonaparte, rejoint son régiment d’artillerie, celui de la Fère, alors en garnison dans la ville d’Auxonne. Il y restera 3 ans, entrecoupé de 17 mois d’absence, qu’il passera en Corse. C’est donc 2 séjours qu’il effectuera à Auxonne. Il en repartira le 14 juin 1791, avec le grade de lieutenant en premier et rejoindra Valence.
Remarqué par son professeur de mathématiques, le professeur Lombard (il dira que « ce jeune homme ira loin ! »), de Buonaparte est désigné pour être rapporteur d’une étude de jets de bombe au mois d’août 1788, au grand dam des autres officiers, plus anciens que lui. Son procès-verbal est tellement bien rédigé, que durant les mois suivants, il s’attachera à le faire évoluer, de telle sorte que lorsqu’il sera consul, il fera appliquer son précis d’artillerie.
C’est à Auxonne également qu’il manquera de mourir par 3 fois, qu’il se battra en duel, qu’il commandera son premier fait d’armes, dans lequel il fera mettre en joue une populace en colère, à Seurre, et aura cette phrase devenue célèbre, « que les honnêtes gens se retirent, je n’ai ordre de tirer que sur la canaille ! », qu’il rédigera le
règlement de la calotte, confrérie facétieuse composée d’officiers subalternes et dont la devise est « C’est de régner que de savoir rire ! », qu’il sera présenté au prince de Condé, représentant en Bourgogne du roi de France et dont quelques années plus tard, le 21 mars 1804, il fera, en tant que consul à vie, faire fusiller son petit-fils, le duc d‘Enghien.
Il sera mis aux arrêts par 2 fois, le 23 août 1789, il portera fidélité à la France et au Roi sur la place d’armes des « Cazernes », il vivra les premiers évènements de la révolution française, rédigera un pamphlet ironique et satirique contre le représentant du roi de France, Matteo Buttafoco, dans le but de se positionner dans ce
mouvement indépendantiste auprès de Pascal Paoli.
N’ayant pas le temps de le faire imprimer, c’est à Dole qu’il s’attachera des services de l’imprimeur Joly, lequel, enverra les lettres en Corse.
Auxonne restera pour lui, l’endroit où il apprit son métier d’artilleur et s’est découvert son âme de chef de guerre. Il n’oubliera jamais Auxonne…

On ne peut nier que le personnage, même 200 ans plus tard, continue de fasciner et de passionner bon nombre de Français… Comment l’expliquez-vous ?
C’est un homme qui a su cultiver un paradoxe tout au long de sa vie. Indépendantiste convaincu mais servant dans l’armée du roi, rejoignant le continent après l’incendie de la maison familiale par les partisans de Paoli, il décide d’embrasser la cause française, adhérant à des idées révolutionnaires mais les reniant par la suite, critiquant la royauté mais devenu Empereur, se comporte comme un monarque.
Il fascine, il intrigue, il passionne car toutes ses actions ont toujours eu des retentissements dans l’ordre établi, des bouleversements dans les consciences et la possibilité au tout à chacun de pouvoir décider de son propre sort.
Ce fut un chef de guerre hors pair, prenant le temps d’étudier le terrain, innovant dans l’art de la conquête (faire la guerre avec ses jambes…), il fut également à l’origine de nos institutions civiles et militaires. Il a dit que « Ne rien faire, c’est perdre du temps et moi, je n’ai pas de temps à perdre… ! ».
Il incarne l’homme qui a su se montrer opportuniste, soucieux du détail, cultivé, embrassant son époque comme s’il ne lui restait plus qu’un jour à vivre, amoureux, passionné, aimant sa famille. Certes, un regard plus sombre peut lui être
porté, notamment pour le nombre de morts laissés sur les champs de bataille mais ces hommes n’ont pas eu à subir pour le suivre et ce qu’il leur a promis, ils l’ont obtenu.
Moi-même, je collectionne tout ce qui se rapporte à cet homme, en ne gardant qu’un objet par thème. J’en suis à plus de 600 objets.
Une passion ne s’explique pas, elle se vit.
Vive l’Empereur !