Grands Mots Grands Remèdes : Prédictions

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Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

C’était un samedi. Je me souviens comme si c’était hier de ce premier janvier 2000. Il faisait frais mais c’était un temps de saison. J’étais monté sur ma terrasse et j’avais démarré mon avion qui montait instantanément à la verticale dans un silence épais (1).

Je réglais ma hauteur de vol pour éviter les files en rang serré des avions personnels qui venaient de Besançon en suivant, grosso modo, l’ancienne N83, là même où circule maintenant l’aérotrain (2).

Je n’avais pas eu le temps de déjeuner et j’avalais promptement mes deux pilules nutritives qui me conduiraient jusqu’au soir. Des dérivés du pétrole (mais le parfum fraise tagada l’emportait) remplaçaient la viande dans la pilule rouge et les extraits d’algues sous-marines supplantaient avantageusement ces grandes feuilles vertes que les anciens appelaient des épinards, dans la pilule jaune (3). Nostalgie…

J’étais serein, prêt à aller faire mon sport en dôme climatisé avant de me régaler de mon film 3D.

J’étais médecin et -hélas !- de ceux qui travaillaient encore en attendant que les robots se généralisent enfin et me permettent de récupérer, (il serait temps !) ce mercredi matin où il me fallait encore travailler de 9 à 11, une semaine sur deux. Bien sûr, il n’y avait plus de cancers depuis les diagnostics précoces (4) et les traitements ciblés ; il n’y avait plus de maladies infectieuses depuis l’amélioration des vaccinations et les bébés en éprouvette avaient bien facilité la vie des femmes. Mais la vie durait 140 ans et ça donnait du temps aux tremblants pour se blesser sottement. Et puis les hypochondriaques étaient encore bien vivants malgré leurs sombres prédictions.

Tout ça est bien dépassé aujourd’hui ! L’an 2000 c’était il y a une génération déjà.
Et si en 1950, on avait fait toutes ces prédictions pour l’an 2000 que je viens de rappeler aujourd’hui, on n’avait pas du tout imaginé la vie en 2025 !

C’est qu’elle était inimaginable ! Niels Bohr l’avait bien dit : les prévisions sont difficiles surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. (5)

Notes pour y voir plus clair :

J’ai utilisé pour ce texte les prédictions qui inondèrent la littérature scientifique grand public en 1950. Avec le recul on est tenté de croire que ces prévisions sont nées dans les bulles des bandes dessinées américaines. Mais elles sont bien le fruit des réflexions et des articles les plus avisés des experts scientifiques de 1950…

(1)- En 1950, on avait une grande confiance dans l’atome qui donnerait accès à une saine motorisation. Bien sûr les motos atomiques de l’an 2000 gardaient leur aspect vieillot de deux-roues à moteur mais elles étaient minoritaires et en ce début de XXIème siècle ce sont surtout les voitures-avions qui avaient la cote et sillonnaient les airs de nos mégapoles en rangs serrés. Chaque maison avait son aérodrome personnel et pour ainsi dire portatif, en terrasse selon les prévisionnistes les plus savants et les plus écoutés.

(2)- L’aérotrain du français Jean Bertin devait révolutionner les transports de l’an 2000. C’est une sorte d’avion déguisé en train, sur coussin d’air retenu et guidé par une voie spéciale en T inversé. Son turboréacteur lui permettait d’être propulsé sans contact avec la voie ce qui évite bien des frottements. Aujourd’hui les lignes prototypes construites à grand frais sont devenues ce qu’on appelle localement avec une fierté bien compréhensible : « les voies vertes de l’aérotrain ».

(3)- En 1950, les gens mangeaient des épinards (et même les enfants !). Mais les prévisionnistes ont vu juste : aujourd’hui -en l’an 2000- on retrouve dans les jardineries spinacia oleracea, une plante potagère originaire d’Iran qui n’est rien d’autre que l’épinard de 1950. Une botte d’épinard de l’époque équivaut à un demi-comprimé sécable de nos substituts alimentaires en pilule jaune d’aujourd’hui.
Dans une bande dessinée des années 30, un marin borgne nommé Popeye prétend que les épinards sont riches en fer. Mais il s’était mis le doigt dans l’œil : les épinards de l’époque étaient moins riches en fer que nos pilules actuelles.

(4)- Les prévisionnistes le savent bien : depuis 1950 le cancer n’a cessé d’être bientôt vaincu… dans la presse. Pour finalement disparaitre -disait-on- avant l’an 2000. Découverte des rayons X, montée en puissance des laboratoires pharmaceutiques, découverte de l’ADN et du génome, immunothérapie, traitements géniques, font qu’aujourd’hui comme tous les 20 ans depuis 100 ans le cancer devrait être vaincu dans les 20 prochaines années.

(5)- Cette citation est le plus souvent attribuée à Niels Bohr, un physicien danois, prix Nobel de Physique en 1922. Il est surtout célèbre pour son modèle de l’atome proposé en 1913. Avant Bohr on pensait que les électrons tournaient autour du noyau mais on ne comprenait guère leur trajectoire. C’est Bohr qui comprit que l’électron ne pouvait occuper que certaines orbites précises autour du noyau mais qu’il pouvait « sauter » d’une orbite précise à une autre. Ce saut absorbait ou émettait un « paquet » d’énergie. On appela ce paquet un quanta d’énergie et cette découverte marqua un tournant majeur dans ce qui devait conduire à la physique quantique.

Mais la paternité de cette citation est aussi attribuée à Marc Twain, parfois à Pierre Dac. Chacun fera son choix…