Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvaise augure ni jouer les Cassandre mais il me semble que l’Age d’or de nos démocraties n’est plus coté à l’Argus (1). Le miroir aux alouettes c’est son talon d’Achille et il semble venu le chant du cygne.
Il est de bon aloi de vouloir nettoyer les écuries d’Augias. Et parfois il vaut mieux éviter la politique de l’autruche surtout si l’on a l’épée de Damoclès pendue sur nos têtes.
On a brûlé la chandelle par les deux bouts et maintenant on verse des larmes de crocodile et on se fait de la bile (2). Je ne vais pas y aller par quatre chemins : nous ne sommes pas riches comme Crésus et il va falloir mettre un bémol et aussi la pédale douce.
C’est qu’il y a la dette, Bernadette ! Remplir le tonneau de danaïdes ne pourra certes pas se faire en deux coups de cuillère à pot mais il ne faudrait pas non plus attendre cent sept ans pour repartir du bon pied. Appelons un chat un chat (3) : on a vécu sur un grand pied comme des coq en pâte mais on a tué la poule aux œufs d’or et maintenant on tourne sur trois pattes. Il est l’heure de remettre les compteurs à zéro.
Ne repoussons pas aux calendes grecques la fin de nos querelles byzantines. Nous sommes tombés au trente sixième dessous… Alors prenons le taureau par les cornes. Fini de ménager la chèvre et le chou. Assez avalé de couleuvres !
Il faut reprendre du poil de la bête avant de devenir chèvre (4). On nous fait des laïus mais ça nous fait une belle jambe car c’est du pipeau. Ne soyons pas du bois dont on fait les flutes et dans ce panier de crabes, sachons monter sur nos grands chevaux !
Je suis resté médusé et comme deux ronds de flan (5), muet comme une carpe quand j’ai compris que les brebis galeuses devenaient des boucs émissaires.
J’étais aux cents coups, prêt à hurler avec les loups. Mais c’est une autre paire de manches et plutôt que risquer d’être encore le dindon de la farce je m’en remets à nos chères expressions.
Notes pouvant être utiles pour la lisibilité de ce texte.
(1)- Cassandre n’était pas une fille du peuple. Fille de la reine Hécube de Troie et du roi Priam, elle aurait pu vivre tranquillement en son palais à enfiler des perles. Mais voilà-t-y pas que le dieu Apollon s’est épris d’elle. Et pas qu’un peu mon n’veu !
Apollon était généreux. Je ne sais s’il l’est toujours mais à l’époque il donna à Cassandre le don de voyance. C’était gentil mais à l’époque il n’y avait pas le PMU et c’était donc moins utile que ça l’eut été aujourd’hui. C’était surtout une façon de faire le malin mais -une fois n’est pas coutume- Cassandre ne marcha pas dans sa combine. Certes Apollon était d’une grande beauté mais Cassandre avait plutôt un faible pour les laiderons tout mal fagotés. Chacun ses goûts… Elle l’envoya aux pelotes si vous êtes français ou elle l’envoya aux plosses si vous êtes franc-comtois.
Apollon le vécut très mal et nous aurions fait de même. Étant donné que ce qui est donné est donné il ne pouvait faire machine arrière. D’autant qu’avec son don de voyance Cassandre l’aurait vu venir.
Il choisit donc d’ajouter un codicille à son don. Oui ! Cassandre aurait le don de prédire l’avenir mais personne ne croirait ses prédictions. Tout le contraire de Didier Raoult quand il disait en début de pandémie qu’elle ne ferait pas plus de morts que les accidents de trottinettes.
Et c’est comme ça que Troie se perdit en laissant entrer un cheval de bois dans la ville malgré les S.O.S de Cassandre.
(2)- « Verser des larmes de crocodiles » est une expression ancienne qui figure dans le dictionnaire de Furetière en 1690 alors même que les crocodiles n’étaient pas encore inventés. Ou si peu. Elle traduit une émotion fausse, une hypocrisie.
C’est que le crocodile verse des larmes quand il mange. Non point qu’il se nourrisse d’ognons crus ou qu’il nourrisse des regrets de dévorer des êtres vivants sans défense. C’est un simple problème de branchement qui déconne entre les glandes salivaires et les glandes lacrymales. Ça n’empêche pas une carrière animale, mais ça surprend. Si bien que l’expression verser des larmes de crocodile s’est généralisée sur la planète entière.
(3)- Appeler un chat un chat est une évidence et il ne nous viendrait pas à l’idée de le contester. Mieux ! On serait tenté d’ajouter : et réciproquement ! Au point qu’on a perdu l’origine de cette expression. Tant mieux car l’origine est grivoise.
Car au XVIIème siècle, le chat était ce que nous appelons aujourd’hui : la chatte !
C’est Boileau qui a mis au goût du jour la toison pubienne de la femme en écrivant dans un vers de sa première Satire : « J’appelle un chat un chat et Rollet un fripon ».
Rollet était un procureur véreux et Boileau un illustre versificateur.
(4)- La chèvre est connue pour son caractère changeant et un peu branquignol. D’ailleurs la chèvre, capra en latin, nous a donné capricieux.
(5)- On sait que les ronds de flan vont en général par deux mais d’où peut bien nous venir cette expression ? Au XVIème siècle le flaon, vite devenu flan était la rondelle métallique qui servait d’ébauche à la pièce de monnaie avant qu’on la batte au marteau. Deux ronds de flan semblaient comme deux yeux écarquillés de stupeur avant d’être frappé…