Il est des progrès, des inventions, des personnages même, dont on se demande un beau matin comment l’on a pu survivre si longtemps sans les connaitre. Et comment faisaient les anciens quand ils n’étaient pas là ? Bien sûr, nous n’avons pas tous les mêmes références mais faites un effort et dites-moi : que deviendrions-nous sans Google, sans Ruquier, sans lave-vaisselle, sans le Tour de France en juillet, ou pire sans tire-bouchon ? Sans Nabila passe encore ! Mais sans Stéphane Bern ? (1)
Il en va de même de nos mots ! Les dictionnaires veillent sur notre langue avec un soin jaloux. Entendez par là qu’ils ont grand souci de défendre ce qui leur tient tant à cœur : nos mots, nos expressions, nos écrits et nos bavardages. Il faut dire que c’est leur pain quotidien et qu’un tel bouquin vidé de nos mots ne serait plus qu’une bien triste chose. Et encore…
Un abécédaire en fin de carrière. Un opuscule ridicule. Un dictionnaire au cimetière.
Heureusement, tous les ans des mots nouveaux émergent qui sont validés ensuite par nos linguistes. Cette année, après avoir pendant un siècle regardé ailleurs et fait la sourde oreille, ils ont enfin accepté le mot « dinguerie ». (2)
Il était temps ! La pratique de la dinguerie d’abord furtive et hésitante, se généralisait à la vitesse d’une marée au Mont Saint-Michel. Pas un état, pas un homme politique, pas un citoyen, pas un auteur de rubrique n’y échappait. Et la bête mi-loup mi-phoque se reproduisait et envahissait l’espace public. La dinguerie, sans être à proprement parler obligatoire ni remboursée par la sécu, n’en devenait pas moins omniprésente. Elle avait débuté chikungunya, elle devenait Covid. Et nous n’avions pas de vaccins. Nous eussions dû porter des masques mais -manque de bol ! (3)- c’est elle qui avançait masquée nous laissant carrément au beau milieu d’un tel est pris qui croyait prendre… (4).
Misère !
Notes pour se faire une idée plus précise :
(1)- Si vous partez en vacances vous pouvez oublier Nabila et Stéphane Bern. Par contre -sauf si vous êtes un négationniste du réchauffement climatique (il en reste quelques-uns)- n’oubliez pas un chapeau ou une casquette. Des lunettes de soleil à verres progressifs aussi car il est parfois des images de plage qui valent le coup d’œil… Et une crème solaire parfumée aux odeurs des années 80 pour éloigner les voisins et conforter votre espace vital.
Prenez donc aussi une glacière, une bouée si votre nage est incertaine, des palmes et un tuba dans l’hypothèse où vous croiseriez des collègues de bureau et des boules de pétanque auxquelles vous serez bien le seul à avoir pensé.
Pour la bouée évitez la chambre à air noire d’ancien pneu de 4CV désormais démodée. La bouée à col et tête de canard est à réserver aux moins de trente ans. La bouée-matelas vous coûtera une cinquantaine d’euros. Attention, elle est vendue par correspondance non gonflée pour réduire les frais de port. Il existe des bouées-matelas à deux places pour les dragueurs invétérés ou les éternels optimistes.
(2)- La dinguerie est bien antérieure aux discours de nos dirigeants modernes. C’est probablement l’un de nos plus anciens comportements. Quand, dans la Genèse chapitre 3, le serpent vient raconter à Ève qu’elle peut manger le fruit de l’arbre de la connaissance alors que Dieu en personne l’avait interdit, ne sommes-nous pas déjà en pleine dinguerie ?
Le serpent fut condamné à marcher sur le ventre et ce nouveau mode de locomotion fut appelé « ramper ». Avouons que si tous les dingues devaient désormais marcher sur le ventre en contrepartie de leur contribution à la folie de l’espace public il y aurait des encombrements sur les passages cloutés. Et c’est encore nous qui ferions la queue.
(3)- L’expression « manque de bol » est bien mystérieuse !
On aurait pu se contenter de manquer de chance, avoir la poisse ou avoir la guigne, souffrir de déveine, ou avoir mauvaise fortune ou le mauvais œil… Mais, comme souvent, il a fallu que l’argot s’en mêle !
Chez les « mauvais garçons » des années 1890, le bol du fait de sa forme est assimilé au postérieur humain ou si vous préférez à un autre mot de 3 lettres se terminant par un L . Bol est un mot très ancien qui remonte à l’anglais bowl déjà connu en 950, désignant un récipient rond et plus large que profond. Il a fallu beaucoup d’audace pour passer du derrière à la chance. Mais ils l’ont fait !
(4)- « Tel est pris qui croyait prendre » nous vient, bien sûr, d’une fable de La Fontaine, le Rat et l’Huître. Un rat gourmand repère une huître dodue et imagine s’en faire un hors d’œuvre. Mais l’huitre se referme brusquement. Tel est pris qui croyait prendre nous dit le fabuliste. Le rat honteux et confus, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Au moins n’avait-il pas tout perdu. Il avait acquis de l’expérience et désormais il savait que la méfiance est mère de la sûreté.