Nous vivons une époque où les conflits sont partout et paraissent sans fin. On me dira qu’entre les incivilités et les tueries de masse les gens ont toujours eu cette tendance à se chipoter avec plus ou moins d’insistance et de talent (1). Et avec plus ou moins de réussite, au point qu’il est arrivé qu’on compte des caramillées de rescapés (2).
Nous sommes belliqueux (3).
Ça veut seulement dire que nous aimons monter sur nos grands chevaux (4), sonner la charge, donner l’assaut, faire feu de tout bois et tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge. Les plus adroits font passer l’arme à gauche aux ennemis en embuscade qui n’auront pas su battre en retraite (5).
Plutôt que de rester assis nous préférons faire le siège.
Et rester sur le pied de guerre plutôt que tourner les talons.
On me dirait que c’est dans la nature humaine que je n’en serais pas surpris plus que ça.
La violence est partout et même nos rhumes sont carabinés (6).
Pas question de rendre les armes et ceux qui tirent au flanc seront mis à pied (7), ça leur fera les pieds. Ne jamais désarmer… rester à couteaux tirés et croiser le fer en rendant coup pour coup. S’il faut sortir l’artillerie lourde on allumera la mèche et sur tous ceux qui sont de mèche on aura la main lourde pour leur faire rendre les armes.
L’équilibre de la terreur sera notre cheval de bataille. Ne jamais dire : je m’en bats l’œil (8) ; au contraire monter au front pour mieux mettre en joue et ne pas faire de quartiers.
C’est qu’il faut mettre l’ennemi au pied du mur et aussi le mettre le dos au mur pour des combats d’arrière-garde. Où il sera à notre merci.
De rien ! Je disais ça sans vraiment le penser…
Notes en vrac :
(1)- Chipotrer (en 1458) devint chipotter puis enfin chipoter en 1561. Il était temps on allait bientôt se mettre à discuter sur des riens et c’est justement le sens premier de chipoter. C’est ce verbe qui a donné la locution « faire sa chipie » pour désigner une jeune femme difficile à vivre. Mais il y eut bientôt, avec la sélection de l’espèce, la diminution de la consanguinité et les progrès de l’éducation nationale et aussi parentale, de moins en moins de jeunes femmes difficiles à vivre. Le mot s’atténua et désigne aujourd’hui une femme taquine et non dénuée d’humour.
(2)- Une caramillée comtoise correspond, chez ceux qui ont l’infortune d’être d’ailleurs, à une nuée en ribambelle avec une foule où grouille une flopée.
(3)- Non ! Ça ne veut pas dire que nous avons la plus belle.
(4)- Au Moyen-Âge, bien avant les chevaux-vapeur le cheval était roi et on comptait sur lui en bien des occasions. Les sommiers transportaient les armes et munitions de jour comme de nuit. Les palefrois transportaient les dames qu’il eut été troublant de transporter sur des sommiers. Et les destriers étaient les chevaux de bataille.
L’écuyer les conduisait à main droite, à main dextre, d’où leur nom. Pour voir au loin sur le champ de bataille il fallait monter sur ses grands chevaux qui étaient réservés aux chevaliers les plus héroïques et performants.
(5)- L’origine de l’arme à gauche est controversée. C’est qu’il est bien difficile de mourir une bonne fois pour toutes et comme pour l’expression « casser sa pipe » multiplier les hypothèses donne l’illusion de retarder le moment fatal. Plusieurs origines s’affrontent. Voici ma préférée, sans garantie.
Lors les assauts médiévaux, quand il fallait grimper dans les escaliers en colimaçon, le fut central obligeait à passer l’arme sur l’épaule gauche. C’était de mauvais augure car l’assaillant ainsi affaibli devenait une cible de choix quand il arrivait à l’étage. Et beaucoup redescendirent l’escalier les pieds devant.
(6)- « L’escarabin » au Moyen-Âge était un scarabée fouisseur. Et l’on a appelé ainsi les croque-morts. Pendant les épidémies de peste les étudiants en médecine prêtaient main forte devant l’augmentation de la demande. Ils en gardèrent ce surnom. Jusque-là tout va bien.
Les étudiants en médecine débutent et n’ont pas encore acquis une forte immunité.
Lors de leurs stages ils côtoient beaucoup de malades si bien qu’ils sont bien souvent enrhumés, d’où les rhumes carabinés. Là c’est moins sûr. Je viens de l’imaginer.
(7)- Pourquoi « tirer au flanc » alors que le cœur est plus en haut sur la gauche du massacré et donc sur la droite du tireur ?
Parce que l’expression n’a rien à voir avec les tueries ordinaires.
Dans l’argot militaire, tirer à ici le sens de « se tirer, s’en aller, se défiler » et le flanc exprime le côté par où l’on s’échappe. Donc le tire-au-flanc est le soldat qui se dérobe aux corvées qui lui sont dues.
À ne pas confondre avec certaines échauffourées de fin de repas dans les réfectoires des collèges où le flan ne prend pas de « c » mais où le collégien prend 3 heures de colle.
(8)- Voilà une bien curieuse expression qui date de 1666. Déjà un œil, deux yeux, a de quoi intriguer un esthète mais s’en battre l’œil témoigne d’une automutilation stupide jusqu’à l’omoplate. Déjà il ne faut pas que Raoul ait froid aux yeux pour se mettre le doigt dans l’œil mais pour s’en battre l’œil il faut vraiment que Suzanne lui ait tapé dans l’œil en lui faisant les yeux doux. Ça crève les yeux !
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