Rubrique. Grands mots, Grands remèdes : Gendarmes

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Je me promenais tantôt sur une de mes flâneries (1) préférées lorsque mon attention
fut attirée par le comportement de deux gendarmes. Ils se tenaient tendrement
enlacés et -pour ne rien vous cacher- bien plus encore.
La connivence était paisible sans mouvements désordonnés et l’ingérence se faisait
sans bruit superflu qui n’aurait rien apporté au charme courtois de la scène.
Hier encore, et demain pas plus, je ne me serais attendri sur cette bluette touchante
mais ce jour-là je me rependais en conjectures. Il y a des jours comme ça…
Ces gendarmes, nous les croisons si souvent sans les voir ! Ils véhiculent un déficit
d’empathie qui freine notre exaltation (2). C’est grande injustice.
Car, à l’inverse, nous nous attendrissons jusqu’aux gouzi-gouzi (3) sur les coccinelles
qui ne sont rien d’autre que des gendarmes ailés. Des gendarmes qui volent.
Notre peur du gendarme tient-elle au fait que le pyrrhocoris apterus (c’est son
véritable matricule) est connu comme la plus répandue des punaises d’Europe (4).
Voilà qui précipite les plus fragiles d’entre nous vers le délit de faciès.
La coccinelle – bien mieux lotie- jouit de ritournelles et de surnoms charmants. On dit
qu’elle porte bonheur. On l’appelle la Bête à Bon Dieu (5). On est quand même très
haut dans la hiérarchie !
La coccinelle est un coléoptère. C’est plus glamour qu’une punaise. On est sous le
charme du rouge à points noirs. On les suit du regard, on les compare. On s’extasie.
Mais si elles sont jaunes on devient méfiant : c’est la livrée de l’asiatique et c’est une
espèce invasive qui risque de venir butiner le pain des françaises.
Le regard que nous portons sur ces bestioles en dit plus de nous-mêmes que des
gendarmes et des coccinelles.

Notes pour donner du sens…

(1)- Au pays des terrils et des estaminets, les ch’tis nous ont donné la biloute, la
ducasse et les chicons. En Bretagne, on porte ses courses dans un pochon. Dans le
sud-ouest on apprécie les chocolatines. En Comté, si vous vous êtes fait gauger par
le rabasse prenez garde s’il fait cru. C’est en Normandie que l’on a commencé à
« flanner ». Le mot appartenait aux Vikings mais l’idée était plaisante et nous l’avons
adoptée. Comme nous sommes un peuple courageux il a quand même fallu attendre
1808 pour se faire à cette idée et pour que ce verbe entre dans notre vocabulaire.

(2)- Les gens d’armes (comptez début du XIVème) étaient des cavaliers fortement
armés qui tentaient de faire régner l’ordre dans une époque où nos ancêtres
s’entretuaient à qui mieux mieux avec de simples arcs et des flèches. Il fallait bien
viser et ne sautaient les piquets que les imprudents qui avaient -souvent par
outrecuidance- oublié de prendre le meilleur antidote connu : la poudre
d’escampette. Les chinois, débrouillards comme pas deux, avaient inventé le
mousquet dans les années1300. Il était temps car les conflits commençaient à
devenir dérisoires, jusqu’à en être riquiqui, avec un grand nombre de survivants
étonnés et benêts de se croiser encore dans la rue. Une inefficacité qui faisait tache
et beaucoup rigolaient sous cape au nez et à la barbe des sous-lieutenants.
Bienheureux s’ils n’y ajoutaient des gestes obscènes.

(3)- Le gouzi-gouzi est très proche du guili-guili à tel point qu’il arrive de les
confondre. Pour un bon gouzi-gouzi se placer face au gouzi-gouzé, utiliser un
charabia convenu à base de vieux babils recyclés, gratter légèrement le menton avec
l’index et s’en remettre à Dieu pour que ça marche. Car il peut y avoir des échecs.
Qui heureusement sont sans importance.

(4)- Assez curieusement le gendarme est aussi en argot le hareng saur. Et dans
cette même langue fleurie c’est le breuvage réparateur des lendemains de grosse
biture. Il vous faudra du vin blanc, du sirop de gomme et de l’eau. Ça ne marche absolument pas. Mais c’est une recette traditionnelle et donc respectable. Je vous
aurais prévenu.
Jadis les prisonniers évadés laissaient derrière eux des gendarmes (je veux dire des
harengs saurs) pour que leur odeur forte et à longue portée -du moins à vue de nez-
distraie les chiens et les égare sur de fausses pistes. La méthode a été abandonnée
quand les fuyards ont compris que c’était, bien au contraire, le meilleur moyen de les
suivre à la trace. Des fois, dans la précipitation, on ne réfléchit pas assez.

(5)- Victor Hugo lui-même évoque ce surnom de bête à Bon Dieu dans Les
Contemplations . Mai 1830
Sa bouche fraîche était là : Je me courbais sur la belle, Et je pris la coccinelle ; Mais
le baiser s’envola
« Fils, apprends comme on me nomme », Dit l’insecte du ciel bleu, « Les bêtes sont
au bon Dieu ; Mais la bêtise est à l’homme. »
C’est pourtant vrai !