Discipline de séduction

0
2062

Pour les 1 500 000 passionnés dont je fais partie, l’ouverture de la pêche au brochet prévue samedi prochain, exigera cette année encore, d’obéir à tout un cérémonial.
Un peu comme à propos de la chasse dans la Gloire de mon Père, l’œuvre romancée de Marcel Pagnol, où les cartouches sont minutieusement façonnées à l’avance, l’ouverture du carnassier nécessite une révision complète du matériel : entretien, remplacement, essayage.
Ceci étant, et ce n’est pas une mince affaire, il s’agit ensuite de choisir le meilleur endroit où poser ses lignes. Essentiellement en fonction de la météo (notamment du vent et de la température), mais aussi d’autres paramètres aussi mystérieux qu’aléatoires…
Toujours est-il que pour qu’une ouverture soit réussie, dès la veille au soir, il faut « se mettre dedans ». Il convient donc de se coucher très tôt, afin d’être performant au bord de l’eau, dès les premières lueurs de l’aube.
Même si je reconnais qu’il y a près de vingt ans, ce n’était pas toujours le cas lorsque nous partions avec quelques amis « faire l’ouverture », juste après être sortis de discothèque (dans des états plus ou moins « fatigués » que je vous laisse deviner).
Mais depuis, le temps a passé, et les choses ont changé…
Toutefois ce qui n’a pas changé, c’est cette sensation magique, quasi-mystique, qui vous prend, une fois arrivé devant le grand spectacle naturel de la vie.
L’odeur de la terre et de la rosée matinale, le chant du coq qui s’élève au loin, alors que la campagne blanchit. Émouvantes retrouvailles avec la nature qui s’éveille. Séquence sensations… Le premier acte peut alors débuter.
Les cannes sont dépliées, les lignes sont jetées à l’eau. Six heures sonnent à l’église du village. Quelques voitures passent au loin, leurs phares se détachent dans l’obscurité qui peu à peu s’évapore. Ici et maintenant, entre ceux qui partent travailler, ceux qui rentrent de soirée, et les contemplatifs, les destinées s’entrecroisent.
Chacun joue son rôle à sa manière.
Mais l’ouverture de la pêche c’est surtout un grand bol d’air, ponctué par des échanges, des rires, des souvenirs. Des moments agréables, mémorables, partagés entre gens parfois très différents voire opposés, mais liés par la même passion.
Par ce même attrait pour cette paisible introspection, opérée en résonance avec les éléments. Placide entrevue sensorielle qui nous renvoie à nos instincts les plus primitifs.
Réalisée en famille ou entre amis, l’activité halieutique permet également la transmission d’un idéal : les meilleures sensations sont souvent les plus simples, les plus accessibles, et les plus inattendues. Une manière de mieux appréhender l’incertitude…
Ce qui justement, fait tout le charme de cette discipline de séduction qu’est la pêche.
La nature est bien faite. Et c’est heureux.
Puisque même si l’on tente de l’influencer du mieux possible par le biais de différents appâts, leurres et stratagèmes, en dernier lieu, c’est toujours la proie qui décidera si à notre hameçon, elle souhaite mordre ou non…