Région. Dossier de la semaine : Lait bio, une filière encore fragile mais porteuse d’espoir

Mercredi 5 novembre, la fruitière de Plasne-Barretaine avait des airs de maison commune. Producteurs, affineurs et acteurs de la filière bio s’y sont retrouvés, à l’invitation de la Chambre d’agriculture du Jura, pour faire le point sur une année de turbulences. Entre doutes et espoirs, tous ont dressé le même constat : le lait bio peine encore à trouver son équilibre, mais la reprise se profile, timide, à l’horizon.

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crise du lait bio Plasne
Caroline Durivaux de la Chambre Régionale d'Agriculture, Florian Anselme, responsable des relations avec les filières à EVA JURA, et Frédéric Demarest, organisateur de la Bioloweek.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En Bourgogne-Franche-Comté, la collecte de lait bio a reculé de 4 % entre juillet 2024 et juillet 2025, conséquence directe de la diminution du nombre d’exploitations. Malgré cette baisse, la production reste supérieure à la consommation, laquelle a chuté de 28 % depuis 2019. Pour le lait liquide, la tendance se poursuit : –4 % en 2025, et –3 % pour les ventes globales en grande distribution.

Cette contraction pèse sur les prix. L’écart entre le lait bio et conventionnel s’est réduit à moins de 50 euros les 1 000 litres, avec un prix moyen de 516 euros en juillet dernier. Un niveau jugé trop bas par beaucoup d’éleveurs, dont les coûts de production ne cessent d’augmenter.

Pourtant, le marché montre quelques frémissements. Les volumes de produits laitiers bio achetés ont progressé de 30 % entre 2023 et 2024, entraînant une hausse de 3 % des fabrications sur les sept premiers mois de 2025. La restauration collective tire aussi la consommation vers le haut : la part du bio y dépasse désormais les 10 %. L’application rigoureuse de la loi EGAlim pourrait même absorber 100 millions de litres supplémentaires de lait bio.

Dans le Jura, les tensions restent vives, notamment au sein des filières AOP. Depuis 2023, une dizaine de fermes ont cessé leur activité, souvent en production Comté, un mouvement accentué l’an dernier. Le différentiel de prix entre le bio et le conventionnel varie beaucoup selon les laiteries et la politique des affineurs. Certains jeunes agriculteurs envisagent la dé-conversion, découragés par la rentabilité en berne et la complexité du système.

Ces sujets ont nourri de longs échanges dernièrement à Plasne. Tous ont souligné l’importance de repenser collectivement la valorisation du lait bio, sans renier les valeurs fondatrices de la filière. Dans l’atmosphère conviviale de la fruitière, entre inquiétudes et espoirs, les producteurs ont partagé la même certitude : si le tunnel n’est pas encore derrière eux, la lumière, elle, commence à poindre.

Zoom sur la coopérative mixte de Plasne : un modèle de solidarité et de constance

Ancrée à 600 mètres d’altitude, au cœur du premier plateau du Jura, la coopérative de Plasne-Barretaine illustre la force du collectif et la résilience du monde paysan. Présidée par Emmanuel Bergier, elle rassemble 35 exploitations agricoles, soit près de 52 équivalents temps plein, et valorise plus de 2 300 hectares de prairies. Sur la campagne 2024-2025, 8,1 millions de litres de lait ont été livrés, dont 3,2 millions en bio. 7 fermes sont aujourd’hui certifiées AB, une fidélité assumée à un modèle plus respectueux des sols et des animaux.

La fromagerie emploie 7 salariés — 1 fromager, 4 seconds et 2 chauffeurs pour le ramassage. Le Comté y est fabriqué quotidiennement avant d’être affiné à Poligny par Juramont, tandis que le lait bio est destiné à Parcey, chez l’Union des Fruitières BioComtoises (UFBC). Morbiers, raclettes et tommes, à cycles plus courts, mûrissent directement à la coopérative.

Le virage bio de Plasne remonte à 2001, quand quelques exploitants décident de franchir le pas, avec le soutien du fromager. L’organisation s’adapte alors : citernes à double cuve, stockage séparé, cuves dédiées à la transformation bio. Aujourd’hui, deux des quatre cuves de 5 000 litres sont réservées à la fabrication de Comté biologique.

Cette orientation a nécessité un travail collectif sur la rémunération du lait. Dès les débuts, une grille était mise en place pour garantir l’équité entre producteurs. Avant la pandémie, l’écart de prix entre lait bio et conventionnel atteignait encore 110 euros les 1 000 litres ; il s’est ensuite réduit à 45 euros avant de remonter à 52 euros cette année. Malgré la crise, aucun producteur n’a renoncé à la démarche bio, symbole d’un engagement solide.

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L’UFBC, née en 2000 de l’initiative de 4 fruitières mixtes dont celle de Plasne, prolonge ce modèle. Présidée par Jean-Baptiste Viret, elle regroupe 26 exploitations bio et assure la commercialisation des fromages auprès des professionnels, garantissant un revenu à plus de 50 familles.

À Plasne, le bio n’est pas un label de circonstance mais une conviction. Dans cette fruitière du Revermont, chaque litre de lait témoigne d’un attachement profond à la terre, à la qualité et à la solidarité paysanne — ces valeurs qui, malgré les vents contraires, continuent de faire vivre le Jura.

Le bio en chiffres

Moins 4 % de collecte de lait bio en Bourgogne-Franche-Comté entre juillet 2024 et juillet 2025.

10 fermes jurassiennes ont cessé leur activité depuis 2023, surtout en production AOP.

Le CNIEL anticipe jusqu’à 7 % de cessations d’activité par an en 2025-2026 (arrêt ou dé-conversion).

516 €/1 000 L : prix moyen du lait bio en juillet 2025.

En restauration collective, la part du bio a progressé de 34 à 43 % dans les lycées publics de la région.

Le marché bio européen retrouve des couleurs : + 12 % entre 2023 et 2024, soit 52 milliards d’euros.

Le label Bio Équitable affiche +30 % de croissance en 2024, notamment grâce aux produits laitiers (+ 45 %).