Jura. Qui a eu l’idée de peindre le Jura en noir ?

Les éditeurs Constance Rameaux et Daniel Ziv ont eu la bien belle idée de créer une collection de polars jurassiens avec l’habillage de la célèbre Série Noire. Ça s’appelle Jura Noir.

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Constance Rameaux et Daniel Ziv.
Jura Noir - Des Torgnoles à Champagnole de Constance Rameaux
Jura Noir – Des Torgnoles à Champagnole de Constance Rameaux

Une sorte de passe-muraille dans une imposante masure dans un coin du village des Nans, un coup de Jarnac à la mairie de Champagnole, la mémoire d’un écrivain qui resurgit au fil de meurtres du côté de Nozeroy, une noyée qui aurait été victime d’une bête légendaire du côté du Grandvaux, une Dame verte qui hante la Bresse… Voilà de quoi frémir au fil des pages de la collection Jura Noir créée par Constance Rameaux et Daniel Ziv.

De courts et jolis livres, en jaune et noir à liseré blanc, qui hommagent ainsi la célèbre Série Noire née en 1945 au sein des éditions Gallimard, à l’initiative de Marcel Duhamel. Le noir n’est certes point trop une couleur jurassienne, qui dans sa palette préfère le jaune (vin et comté), le vert des pâturages et des forêts, le bleu du ciel et des lacs, et le blanc, pour le lait et la neige – encore que pour cette dernière, de plus en plus rare, on se contente bien de la neige des oeufs à la neige. 

Qui a donc éteint la lumière ? Qui a eu l’idée de plonger le Jura dans le noir ? Tout démarre au Nans, non loin de Champagnole, où Constance Rameaux et Daniel Liv vivent dans une massive maison perdue au fond d’une combe. C’est le Monthury. Ils y développent la maison d’édition,  Z4 Editions. Ils proposent aussi un gite. Constance Rameaux raconte : « J’ai écrit un premier polar, Du rififi au Monthury, qui se passait dans notre ferme. Histoire d’amuser les touristes qui venaient loger dans le gîte. Ils trouvaient le livre sur leur table de nuit, et étaient toujours très aimables en se levant le lendemain matin ! Le concept a séduit le maire de Champagnole, qui en a souhaité un sur sa ville, « mais sans cadavre » – ce fut Des Torgnoles à Champagnole ! D’autres auteurs – avec cadavres – nous ont rejoints… La collection était lancée ! ». L’habillage en hommage à la Série noire vite trouvée donna de la couenne à l’affaire. Voilà comment finalement, on rallume la lumière.

« Il s’agit de polars sérieux, mais qui ne se prennent pas au sérieux ! Tous les styles sont permis, les auteurs ont tout de même une sorte de charte à respecter. » D’abord maçonner les fondations de l’intrigue dans le Jura ou en Franche-Comté. Les idées noires n’empêchent pas de découvrir le pays dans ses aspects culturels ou historiques. Les idées noires n’empêchent pas davantage de favoriser une intrigue pas trop embrouillée et évitant l’inclination pour le sanguinolent – pas de bûcherons fous sortant de la forêt la tronçonneuse vengeresse en main. L’ensemble s’emballe dans un espace temps de lecture d’une heure à une heure et demie. 

Plumier magique

Les bons débuts de la collection, outre l’idée, sont grandement redevables à la qualité des auteurs. Comme si d’un plumier magique ouvert s’étaient envolées quelques plumes prêtes à foncer dans le noir. Comme l’estimé journaliste Philippe Bétry ou l’écrivain Françoise Desbiez, qui seront rejoints par Benoît Chevrier ou Sylvie Debras, et d’autres viendront. Leur connaissance du pays donne des garanties en matière d’intrigues et d’imagination. 

Après les premières publications, Constance Rameaux ne malaxe pas du noir, bien au contraire. « La collection prend bien, et elle prend même très bien ! Chaque nouvelle parution relance les précédentes, et on trouve désormais les livres de la collection chez la plupart des libraires du Jura. Le tirage est modeste au départ – 300 à 400 exemplaires -, mais on retire à mesure les livres épuisés. Les journalistes jouent le jeu eux aussi via leurs critiques, et semblent apprécier le côté « culotté » de l’initiative : des polars 100 % jurassiens, avec un éditeur jurassien, des auteurs jurassiens, un imprimeur jurassien, des intrigues jurassiennes, des libraires jurassiens ! Quant aux lecteurs – généralement jurassiens ! -, lorsqu’ils ont lu un « Jura Noir », ils veulent les autres ! ». C’est addictif comme le chocolat. Noir bien sûr.

Jean-Claude Barbeaux

Photos : Z4 Editions.

(1) Citons son essentiel « Le vin de paille, le nectar des dieux en terre jurassienne », paru aux éditions Aréopage.

Encadré 1

Parus et à paraître

Ouvrages Parus :

-Du Rififi au Monthury (Constance Rameaux)

-Torgnoles à Champagnole (Constance Rameaux)

-Coups bas à Nozeroy (Philippe Bétry)

-Ca stresse en Bresse (Philippe Bétry)

-Imbroglio en Grandvaux (Françoise Desbiez)

A paraître :

-Castagne à Vers-en-Montagne (Constance Rameaux)

-Noël meurtrier à Lons-le-Saunier (Benoît Chevrier)

-Coup fatal à Etival (Philippe Bétry)

-Demande de rançon à Besançon (Sylvie Debras)

Ouvrage en vente en librairies.

Contact avec l’éditeur : 

https://z4editions.fr/contact/

Encadré 2

Chauffe Marcel !

Les centaines de Montbéliardes qui ruminent du côté de Nozeroy sont unanimes : ce polar se lit d’une traite. En matière de traite, c’est peu dire que les Montbéliardes en connaissent un rayon. De quoi s’agit-il ? A Nozeroy, puis à Poligny, enfin à Dole, le crime s’installe comme chez lui. Trois hommes sont occis. En plus, pas des gars du pays. Ce qui complique d’entrée la tâche du capitaine de gendarmerie Jacques Gresset – un peu raide le pandore – bientôt flanqué de la journaliste casse-pieds (pléonasme) Prudence Ramille qui met de la constance à vouloir griller tout le monde. 

L’enquête s’éparpille un peu partout jusque dans les pampas lyonnaises avant de s’installer dans le secteur de Nozeroy. Il apparaît que cette triste affaire, qui met le procureur dans tous ses états, est liée à la mémoire de l’illustre Marcel E. Grancher. Cet illustre avait été une gloire littéraire, auteurs d’inénarrables romans mêlant sauce grivoise et sauce gribiche, dentelles et tripailles (1). Cet écrivain d’origine jurassienne a bien existé. C’est la très bonne idée de Philippe Bétry, l’auteur, de nous le ramener à la surface au profit de l’intrigue. L’œuvre du Marcel est bien oubliée, il est vrai que cette littérature ne rentre plus dans aucune des cases définies par la HSL – Haute société littéraire. Frédéric Dard en fut l’héritier, c’est un peu normal puisque l’inventeur de San Antonio a débuté sa carrière tout jeunot dans la maison d’édition du père Grancher. Bref, pourquoi le nom de Grancher, si longtemps après sa mort, provoque autant de coups bas ? Vous le saurez en lisant le livre. Pardi !

On retrouve le capitaine Gresset dans une autre embrouille, toujours sous la plume de Philippe Bétry. L’intrigue de Ça stresse en Bresse s’installe bien sûr en Bresse, du côté du Deschaux. Dans cet univers d’étangs, de petites routes, de brouillards intenses, il n’en faut pas plus pour imaginer du mystère, une incarnation de la Dame Verte. D’autant que, pour stresser un Bressan, il en faut beaucoup… Philippe Bétry est en passe de devenir le taulier de la collection, car il prépare un troisième roman pour Jura Noir.

Encadré 3

Pas d’imbroglio : y’a du brio dans ce roman

Ça se passe dans le Grandvaux. Ça commence par une histoire d’enterrement. Françoise Desbiez la raconte comme Courbet peint l’enterrement à Ornans. Rien de moins. C’est qu’un enterrement dans le Grandvaux, ce n’est pas rien. C’est un rituel où les personnages qui peuplent le roman se dévoilent. On enterre le Raymond, un homme qui a acquis « du bien » comme on le dit parfois curieusement, le bien pouvant aussi signifier rapacité. Les enterrements sont là pour absoudre. Les deux amis Pétronille et Arthur y sont, pourtant Pétronille n’aime guère le défunt Raymond.

Il y a aussi Jean, l’homme à tout faire du Raymond. Après l’église, l’inévitable pot à rallonges, le sentiment d’avoir vécu un bel enterrement, chacun rentre chez soit, poursuivre sa vie tranquille. Comme Pétronille et Arthur, les deux voisins qui reprennent leurs habitudes. Rien ne viendra rompre leur harmonie. « Arthur entretient des nostalgies tenaces (…). Il se lamente avec gourmandise sur tout ce qui choque ses principes bien arrêtés (…). Par habitude et pour lui faire plaisir, Pétronille entonne le choeur des lamentations. (…) C’est un vieux sketch qu’ils se jouent, pour le plaisir et la douceur. Si tout est perdu, il faut boire, prétexte de choix pour rester encore un peu ».

Tout va tranquille dans l’air du pays, dans le vent qui agite les sapins, autour du lac encore gelé qui laisse entendre la musique de la glace. Puis, la glace révèle un cadavre, une femme. Les premières constatation effacent l’idée d’une noyade, le corps est déchiqueté par endroit, laissant filer la rumeur de l’acharnement d’une bête féroce, voire ressuscitant la légende de la bête du lac. Le cadavre active les antiques réseaux sociaux appelés cancans ou commérages, ou débinage, ou caquetage. Bref, ça cancane.

La noyée, c’est Valentine la soeur de Pétronille partie vers la ville et qu’elle revoyait peu. Pourquoi est-elle revenue au lac, lac qu’elle aimait tant dans sa jeunesse ? Alors Pétronille se glisse un peu dans les chausses d’une enquêtrice d’Agatha Christie – après tout Pétronille est considérée dans le pays comme une excentrique. C’est dans la jeunesse qu’elle dégotte un début de piste, un amour de Valentine avec un fils du Raymond. Qui n’a pas apprécié, à l’époque. Et quarante ans après ? Pourquoi le Raymond est-il mort le même jour que Valentine ? Pétronille enquête, s’incruste chez des gendarmes pas spécialement motivés, elle arpente les bords du lac en tout sens, elle pousse à bout le Jean… Jusqu’à la découverte de la vérité, que personne ne voudra entendre. On laisse Pétronille dans l’amertume du « secret » qu’elle seule détiendra. On referme le roman qui propose, avec un style à la hauteur, une magistrale démonstration de la naissance d’une rumeur dans un bourg, une rumeur prête à rester vivace pendant des décennies, de génération en génération. Il n’y a pas d’imbroglio : ce roman a du brio.

  • L’action se déroule dans le village fictif de La Ferté, dont on devine la proximité avec le lac de l’Abbaye.