À Lons, nous cheminions tous seuls les deux sur le boulevard Jules Ferry en
direction du pont de Macornay (1). J’avançais d’un pas lent. La Marie-Madeleine
approche les quatre-vingt-dix ans et j’étais émerveillé par son allant. Elle était encore
fringante, la gaillarde ! Mais il fallait l’économiser.
Nous venions de croiser un couple de jeunes noirs qui s’époumonaient à tirer deux valises hors d’âge mais qui semblaient bien trop remplies. Sans doute venaient-ils de
la gare… Ils semblaient au bout de leur vie.
– Ramenez moi don chez moi ! On n’est plus chez soi ici ! De diouss’, j’vous jure, je
supporte plus !
La réflexion m’étonnait. Je connaissais bien la Marie-Madeleine et je la savais
bienveillante et ouverte sur le monde… La suite me rassura.
-Z’avez vu les deux, là ?
Était-ce la surprise ? Ou un peu de lâcheté… Je m’entendis répondre :
– Non ! Pourquoi ?
-Bin sur le panneau de réclame, juste après Daze, y avait marqué d’aller sur le
nouveau site de la ville (2). Ils ont appelé ça : All you need is Lons (3). Moi à dix ans
figurez-vous j’étais en champ les vaches (4). Alors leur baragouin j’y comprends
goutte ! Et juste après… l’usine Bel, c’est marqué sur le panneau For all. For good.
En plus moi le gouda j’y tiens pas plus que ça, savez !
Je me suis senti soudain heureux et fier de la Marie-Madeleine. Comment avais-je pu
douter ?
– Je sais pas jusqu’où ils vont nous promener avec leur charabia de derrière les
fagots ! (5)
Non, la Marie-Madeleine n’était pas devenu raciste ! Simplement elle n’avait pas fait
latin à l’école. À cet âge elle gardait des femelles adultes de l’espèce Bos taurus, un
ruminant de la famille des bovidés dont le lait sert -bel et bien ! – à faire des
fromages.
Notes pertinentes pour éclairer le texte :
(1)-Peut-être entrainés par l’élan insufflé par le titre de cette rubrique, certains auront
lu Mac Horney. Mais non il s’agit bien du coquet village de Macornay où vivent 1 003
macorneusiennes et macorneusiens (1bis) et où naquit, en 1854, notre illustre
mycologue Narcisse Patouillard qui fut président de la Société Mycologique de
France. Comme ils aurait patouillé de bon cœur dans nos bois en cette fin d’octobre :
ç’en est grebi de trompettes de mort.
(1bis)- On trouve aussi, selon les grimoires, macornensiennes et macornensiens
(2)- Les temps changent. Longtemps le site de la ville de Lons était situé au cœur du
Revermont au pied du premier plateau du massif jurassien et à l’est de la plaine de
Bresse. Mais désormais le nouveau site de la ville de Lons c’est
Nous devons en conclure que le temps est venu dans notre département green de
respirer un air clean.
(3)- All you need is Lons est inspiré d’une chanson des Beatles : All you need is love.
Aller chercher une inspiration jurassienne chez les Beatles, c’est une petite infidélité aux Infidèles, groupe de rock formé à Lons en 1983 autour de Jean Rigo, Olivier
Derudet et Jo Matiss.
(4)- Aller en champ les vaches ! En campagne, beaucoup de nos aïeux, connurent
bon gré, mal gré, cette école buissonnière. André Nicoulin, percepteur dans le Jura
est auteur comtois bon teint nous le dit dans son récit Le Dessus du Mont, 1979.
Certains manquaient : ils allaient « au champ les vaches » et ne reprendraient l’école
qu’à la Toussaint. Ces temps de l’avant-guerre paraissent bien lointains au temps
des smartphones.
(5)- Avant que le duché de Bretagne ne soit rattaché à la France le 13 août 1532
suite à l’édit d’Union, il arrivait que les armoricains, lorsqu’ils faisaient des picorées
en France, se retrouvent dans nos auberges et gargotes. Ils demandaient sobrement
du pain et du vin, histoire de changer un peu de leur kouign-amann arrosé de cidre.
Dans leur langue maternelle bara c’était le pain et gwin le vin. Ce bara-gwin devint
vite un sobriquet et le baragouin était officialisé en 1391.
Le charabia est plus récent et date du début du XIXème siècle. Il est construit sur
tcharr qui est une onomatopée exprimant un bruit confus de paroles. On retrouve ce
radical et cet idée de bavardage parfois confus dans charivari, charade, charlatan,
tchatcher, chatGPT…