Jérémy, quels enseignements tirez-vous de la guerre en Ukraine ?
Ce conflit montre à la France et à l’Europe que nous sommes à côté de la plaque en ce qui concerne l’autonomie alimentaire. Notre dépendance est flagrante. Avec en plus désormais une spéculation honteuse sur les denrées qui non seulement ne profite absolument pas aux producteurs mais pénalise des consommateurs de plus en plus assommés par cette inflation.
Le manque d’énergie entraine un véritable chantage de la part de la Russie. Ce qui nous amène à un gros dilemme en matière d’agriculture : que faire de nos terres ? Les utiliser pour remplir les frigos donc avec une vocation purement alimentaire ? Ou les destiner à produire pour compenser le manque d’énergie et donc créer de l’éthanol et du gaz tel que le méthane ?
Des solutions existent pour l’eau par exemple avec les retenues ?
C’est ce qu’on appelle les bassines. Des régions ont commencé à mettre cela en place pour alimenter l’irrigation. Ce n’est pas notre vision de l’avenir. L’enjeu est de partager l’eau et non pas de se l’accaparer. Là encore, qu’est-ce qui est le plus important entre avoir de l’eau pour l’agriculture ou en avoir au robinet ? Nous sommes à un moment crucial qui implique de revoir totalement le modèle agricole, avec, notamment de cultures moins gourmandes en eau.
Avec quelles mesures concrètes ?
Aujourd’hui, le tiers des parcelles cultivables est utilisé pour nourrir non pas les hommes mais le bétail… Ne doit-on pas se demander s’il ne faudrait pas consommer moins de viande mais de meilleure qualité ce qui permettrait de revoir cette proportion et de produire plus de légumes ou des céréales à vocation humaine sur ces terres ?
La confédération paysanne plaide aussi depuis longtemps pour que les agriculteurs puissent d’abord vivre de leur métier donc du fruit de leur travail. Quant aux aides, telles qu’elles sont distribuées aujourd’hui, elles ne sont pas équitables. Il s’agit d’aides à l’hectare et au nombre d’animaux privilégiant donc les grosses structures avec peu de main d’œuvre. Nous demandons de revoir cette logique pour des aides à l’actif, c’est-à-dire selon le nombre de personnes sur les fermes
Quelle est votre avis sur la compensation carbone ?
L’agriculture paysanne a la capacité d’avoir une influence positive en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre et en développant des pratiques qui permettent d’atténuer les effets des bouleversements climatiques : baisse des engrais et des pesticides, diversification des cultures et des productions, semences paysannes, infrastructures agro-écologiques, lien systémique entre production animale et production végétale, haies…
Ce sont ces pratiques paysannes qui doivent être incitées, accompagnées, et soutenues par une politique publique ambitieuse à l’opposé de cette compensation qui n’est rien d’autre qu’un business du carbone, ne permettant pas une vraie transition écologique
Que souhaitez-vous défendre dans la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) ?
Une agriculture qui soit là pour nourrir et un métier-passion qui a besoin de reconnaissance. Pour cela, la PAC doit enfin être juste et permettre par exemple aux consommateurs de réellement consommer local dans un contexte où la baisse du pouvoir d’achat ne le permet pas forcément.
Notre proposition, c’est une sécurité sociale alimentaire….
Comme une carte vitale où chacun pourrait acheter près de chez lui des produits de qualité avec un reste à charge plus ou moins important en fonction des revenus. Un modèle bon à la fois pour la santé, pour l’économie locale et pour prouver qu’une autre agriculture est possible ce qui rendra la profession plus attractive pour les enfants de demain avec ce modèle de paysannerie à taille humaine.