C’est arrivé l’avant-dernier matin. Un jeudi à l’aube. Il faut dire que j’ai toujours aimé les jeudis et que je les aime encore plus depuis quelques années.
Cela s’est passé un peu par hasard je dois bien l’avouer. De toute façon, qu’ils soient heureux ou tragiques, ce sont presque toujours les contours des hasards qui esquissent les destinées : les rencontres et les itinéraires. Et ce, qu’il s’agisse d’une nuit ou d’une vie.
Ainsi, ces furtives et rares connexions cristallisent les moments, augurent un devenir, tracent un horizon, précisent un terme (ou non, dans le meilleur des cas), nourrissent aussi parfois de lointaines réminiscences passées. Même s’il n’est pas toujours aisé d’accepter leurs conséquences, il faut bien faire avec… Bref.
Je rentrais donc d’un footing matinal d’une demi-heure par la plage en ce jeudi matin et décidai de profiter d’un bain de mer (frôlant les 30 degrés) pour me relaxer et apaiser mes articulations traumatisées, alors que les premiers rayons du soleil apparaissaient.
Le tableau était réjouissant, satisfaisant, presque idyllique.
Tempérés par la libération des endorphines, mes combats intérieurs cessaient leur feu. Cette trêve était bienvenue. Fenêtre ouverte sur une plénitude trop rare. Je respirais agréablement. A bien y réfléchir, il me semble que j’étais heureux.
Je venais de terminer de boire la petite bouteille d’eau que je garde toujours avec moi lorsque je vais courir. Juste à côté, une jeune femme rinçait son labrador avec attention. Son attachement était émouvant.
Cela me fit penser à mon cher cabot, et me rappela que nous allions repartir le lendemain. Alors, avant que les habituelles turpitudes existentielles reviennent m’assaillir, il me fallait graver dans le marbre ce fragment d’éternité. Préserver l’authenticité de cet instant captivant, harmonieux et récréatif. En faire quelque chose (de bien) avant qu’il ne s’évapore.
C’est pourquoi, comme lorsque j’étais enfant, je me suis approché du rivage et j’ai rempli ma bouteille avec un tiers de sable et deux tiers d’eau de mer. Puis, je l’ai soigneusement refermée et précieusement ramenée chez moi.
A l’heure où j’écris ces lignes, elle trône à ma vue, sur le buffet du salon.
Une vulgaire bouteille en plastique. Banale, transparente mais si importante.
Car quand les lugubres brumes d’octobre viendront nous mordre et tenter de nous emprisonner de leur manteau léthargique, je replongerai mon index à la surface. Ensuite, je déposerai juste une gouttelette sur ma langue.
Alors, comme lorsque j’étais enfant, encore, la mémoire olfactive accomplira son œuvre et me permettra de retrouver cet abri d’insouciance, face à l’hostilité d’un quotidien sclérosant.
Cette bouteille à la mer sera finalement un moyen de plus d’accéder à la transcendance et à la sublimation. Une sorte de réconfort sensoriel. D’activateur de sentiments et de souvenirs.
D’ailleurs en la remplissant, j’ai aussi formulé un vœu.
Peut-être simpliste, peut-être naïf, peut-être idéaliste, cela dit, j’accomplirai ma part en ce sens, partout et tout le temps : que demain devienne meilleur qu’hier et nous fasse aimer aujourd’hui…