L’invité du trimestre : Philippe Joutier

A l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Gourou je te like » qui complète le précédent «L’information truquée et la fabrique du prêt à penser » , rencontre avec un auteur cousançois, autour de la désinformation, du complotisme et des réseaux sociaux.

0
3935
Philippe Joutier.

Philippe Joutier, pouvez-vous nous résumer votre réflexion et son fil directeur ? Conserver des repères dans une société fracturée et manipulée. Que ce soit par la morale, la politique, la pub, l’éducation  nationale ( la réécriture de l’Histoire en est l’exemple le plus emblématique), l’écologie… Sur le web, les maîtres à penser pullulent…
Andy Warhol disait « Dans l’avenir, chaque personne pourra être célèbre 15 minutes ».  Prédiction réalisée aujourd’hui où n’importe qui peut faire le buzz en diffusant n’importe quoi en toute impunité à un grand nombre de naïfs qui vont le gober tel quel. Le filtre de la vérification est devenu accessoire. Peu importe le contenu, pourvu que l’on puisse le diffuser !

Mais les réseaux sociaux sont aussi la fin des dictateurs…
C’est vrai. Les totalitarismes ne les aiment pas ! Mais dans nos sociétés plus émollientes, faute d’une fièvre révolutionnaire unificatrice , les réseaux sociaux sont groupusculaires  qui magnifient surtout l’individualisme revendiquent l’épiphanie de l’individu sur le collectif. Faute d’oser imposer, le gouvernement compose avec des groupes de pression et de l’épiphanie de l’individu sur le collectif.
Gilets jaunes,  transgenres, homos, la manif pour tous, Notre Dame des Landes,  le saccage des boucheries par les végans ou celui de la langue par le wokisme: par les réseaux sociaux, les individus se constituent en collectifs pour se faire reconnaitre catégorie. Et devenir catégorie permet indépendamment du poids réel, de se légitimer, de revendiquer et d’exiger l’égalité dans le rapport aux autres et l’accès aux plateaux télé. Pour les imprécateurs antivax, et leur petit égoïsme nombriliste, même la majorité doit être considérée comme simple catégorie, ni plus ni moins légitime qu’eux.

Jusqu’où peut aller cette évolution ?
Jusqu’au déni de la démocratie. Vouloir imposer le créationnisme, au nom du respect des croyances, l’écriture inclusive et le « femmage » plutôt que l’hommage, exiger l’enseignement des langues vernaculaires, relève de ce nihilisme de la communauté. Même le gouvernement se fait piéger : ainsi la convention citoyenne pour le climat.
En trouvant novateur de jouer le citoyen contre l’élu, on a vu le résultat. La société n’est plus une communauté de vie autour d’un destin partagé, mais un agrégat d’égoïsmes individuels et de groupuscules  qui ne se sentent concernés que par eux -mêmes. Au mieux ils s’ignorent, au pire ils se haïssent.

Pourtant, il existe encore des combats à mener. L’écologie par exemple ?
Oui. On ne veut plus sauver la France, mais la Planète. Qui s’en fiche d’ailleurs et qui nous survivra de toutes façons. Alors pourquoi pas ?
Mais ces émois adolescents se diluent vite dans les enjeux carriéristes et l’économie mondialisée. Et sans le nucléaire, les options alternatives sont une illusion technologique et relèvent davantage du militantisme de la nomenklatura écolo-moralisatrice, que de l’économie de marché. On ne peut que louer la fin des exaltations patriotiques qui voyaient les peuples se faire tuer avec enthousiasme dans la haine partagée de l’Ennemi héréditaire ou la gloire des conquêtes exotiques, mais cet indiscutable progrès humain, n’accouche finalement que d’un existentialisme timoré, englué dans les principes de précaution.
Les OGM, le tritium, le gluten, le nucléaire, l’islam, les ondes radios…A défaut d’une vraie menace extérieure, multiplier les peurs reste le meilleur moyen de gérer à court terme une nation fractionnée et tribale. Rien de bien enthousiasmant.
Il n’y a plus de devoir, seulement des revendications qui interpellent une justice débordée, d’où un désintérêt pour le politique. Remplacer  le vote par une application téléphonique à partir de sondages serait sans doute aussi efficace.

La société devient-elle régulée par les téléphones portables?

Et par l’ensemble du net, outil devenu indispensable, mais au service  d’une mondialisation entre les mains des Américains et colonisée par les valeurs anglo-saxonnes. Les GAFAS  maîtrisent désormais  la communication et disposent d’argent à profusion. Mais finalement  ce sera peut-être le salut de la Planète : un monde banalisé peuplée de citoyens parfaitement normés qui rouleront à vélo et vivront dans les villes, tous formatés dans le même moule d’une médiocrité consumériste pleine de bonheur.

L’épidémie de Covid-19 a vu émerger bon nombre de désinformations et autre fake-news se propager à grande vitesse dans la population. Lesquelles vous semble les plus ubuesques ?
J’hésite. La  rencontre bidonnée par télé-Bolloré entre Zemmour et la fausse femme voilée de Drancy est tordante. Ou ce brave grand père barbu, son portable collé sur l’épaule pour expliquer que le vaccin l’a magnétisé. Séquence  visionnée 8 millions de fois sur Tik Tok.
Et le plus drôle, c’est que deux sommités médicales, Vincent Maréchal, professeur de virologie à la Sorbonne, et Morgane Bomsel, immunologue au CNRS ont perdu du temps à tenter de démentir. Le coup a été monté par une boite de com britannique pour discréditer les antivax en surjouant la sottise.

Comment s’en prémunir efficacement ?
Vérifier. Après tout, internet nous le permet aussi ! Aller aux  sources. Et se méfier des raisonnements illusoires.

Quelques exemples ?
Comprendre par exemple qu’une prédiction n’est jamais fausse. Que deux faits corrélatifs ne sont pas forcément liés : le nombre d’élèves diminue dans les classes et en même temps le niveau scolaire baisse. Faut-il y voir un rapport de causalité ?
Se méfier des certitudes et des gourous. Pour Christian Schaller l’homéopathie étant parfaite, donc achevée, l’évaluer est sans intérêt et toute recherche est inutile. Ce qui lui épargne du même coup l’AMM ! La science c’est le doute, la certitude c’est la croyance. Donc  fuir comme la peste les affirmations péremptoires du genre « on n’utilise que 30% de notre cerveau ! » C’est évidemment faux. Le développement personnel et la psychanalyse qui ne fonctionnent que sur ces affirmations non démontrées en sont des florilèges. Quand Françoise Dolto pose péremptoirement que la sexualité se construit sur l’inceste, d’où sorte-elle  de pareilles certitudes ?
Et lorsqu’on vous explique que ce qui fait leur pertinence c’est précisément qu’elles ne sont pas démontrables, que faire d’autre qu’hausser les épaules ?
D’ailleurs puisqu’ indémontrables, on peut retourner ces affirmations et les nier avec autant d’aplomb. La psychanalyse n’a jamais pu se sortir de ce paradoxe. Le hic c’est que ces fadaises ne sont pas sans danger : voyez le drame des faux souvenirs induits ou le  sinistre Bettelheim qui rendait les mères coupables de l’autisme. Il fut la coqueluche des années 80.

Dans votre précédent livre « Gourou, je te like », vous évoquez les sectes et l’emprise mentale librement consentie. Pourquoi ces adultes pourtant cultivés, intelligents et souvent issus de catégories sociales élevées, optent-ils pour cette volonté délibérée de se nuire, (et de se délester de leurs économies), en adhérant à des idéologies délirantes ?
Les sectes  répondent à l’angoisse de la mort, de la maladie et du mal être. Et leurs guides, prophètes ou thérapeutes, au besoin de pouvoir. Love Coachs, grands maîtres de quelque chose,  Reiki,  thérapeutes, nettoyeurs de karma ou ouvreurs de chakras et autres « guides spirituels » : celui qui est incapable de réussir des études va se replier sur un diplôme bidon en médecine alternative,  en niaiseries bouddhistes ou encore en développement personnel. Et pour justifier son savoir et profiter des naïfs il devra forcément dénoncer  la médecine traditionnelle et la science en général. Le piège à gogos c’est l’approche holistique. Inopérante scientifiquement, mais séduisante, elle subjugue les crédules,  soudain émerveillés par l’évidence du Grand Tout.

A votre avis, comment peut-on sortir le pays du marasme social, économique et sociétal dans lequel il semble plus que jamais englué ?
Ouvrez la TV vous aurez les solutions ! Mais n’ayez aucune illusion.
En décembre 2018, juste après l’élection présidentielle j’avais écrit « Pourquoi les présidents sont inéluctablement condamnés à décevoir ». Quel que soit le président à venir, il en sera de même. La cause est externe et tient à l’évolution démographique qui condamne la croissance.

Vous affirmez que vos ouvrages ont été censurés ?
En tout cas cette réponse  fut opposée à des demandeurs dans les bibliothèques de Lons et de Saint Amour. Il parait que j’étais trop provocateur. Normal :  je suis hétérosexuel, je roule au diesel et je mange de la viande. Il faut bien protéger le lecteur.

A défaut, où trouver vos livres ?
On peut les commander dans n’importe quelle librairie, à Lons chez Guivelle, ou aux Arcades ainsi que par les grands distributeurs, Amazon, Decitre, Cultura etc . Tous sont aussi chez Gallimard.
Il est également possible de les avoir directement chez l’éditeur :www.francephi.com