Le Centre de Conservation et d’Etude de Lons le Saunier, le plus grand coffre-fort du département

Depuis 2009, le Centre de Conservation et d’Etudes de Lons le Saunier, bâtiment à faible impact environnemental a pour vocation de conserver et faciliter l’étude des collections du musée des beaux arts, de sciences naturelles et d’archéologie. Son rôle est d’offrir aux collections un lieu unique de conservation accessible aux chercheurs. Plusieurs millions de pièces dont 44000 de Chalain et Clairvaux classées UNESCO y sont stockées. Jean Luc Mordefroid, directeur des musées de Lons le Saunier nous parle avec passion de ce lieu unique, souvent méconnu.

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Le Centre de Conservation. ( photo musée de Lons le Saunier )

Vous êtes archéologue de formation, comment devient-on directeur du Centre de Conservation ?
Je suis directeur du service archéologie, des musées et de la Maison Rouget de Lisle. Lédoniens depuis l’âge de huit ans, je suis archéologue de profession. J’ai dirigé pendant très longtemps des gros chantiers de fouilles à l’étranger où l’on a des responsabilités de terrain, et avec les années, on apprend à maitriser les budgets, à diriger des grosses équipes. On maitrise toutes les étapes de la chaine, la négociation avec les aménageurs au service de l’état. On assure en plus la publication et les expositions. Il est normal que cette expérience serve, nous sommes tous pratiquement issus de l’archéologie de terrain. Il y  a un moment ou cela devient difficile, car physiquement, je ne serai plus capable de diriger des chantiers, c’est une évolution normale. J’ai travaillé en France, en Suisse, en Belgique, en plongée aussi dans des lacs. Quand on est spécialiste et au fait d’une question, on est très vite appelé dans des régions différentes. Maintenant, je suis là comme conseiller, je rédige, mais plus comme responsable d’opération.

Jean-Luc Mordefroid.

Quel est le rôle du centre de conservation ?
Son rôle est d’offrir aux collections un lieu unique de conservation, il y avait auparavant 17 lieus dans le Jura. Il fallait un lieu unique de conservation pour donner les conditions de conservation adéquates. Il faut des réserves avec des climats adaptés, on ne conserve pas dans les mêmes conditions des bois et des pierres par exemple. Il faut aussi que ces collections puissent être accessibles aux chercheurs. Ce bâtiment est uniquement dédié à la conservation et à l’étude. Par exemple quand on fait des fouilles à st Claude, ce qu’on y découvre va directement ici. Tous les ans rentrent environ 30 000 objets. Il y a dans ce bâtiment plusieurs millions de pièces que nous devons garder. En France, on se refuse à faire un tri, la loi ne le permet pas. On doit définir ce qui doit être restauré pour que les collections soient pérennes dans le temps. Le calcul a été fait pour que ce bâtiment dure une trentaine d’années. Je suis moi partisan du tri de sélection comme le font les archivistes.

KODAK Digital Still Camera

Ce lieu est méconnu du public, à part les journées du patrimoine, comment le faire connaître ?
Actuellement, nous avons deux salles d’expositions permanentes, toutes les deux dédiées aux beaux arts, et deux salles d’expositions temporaires à l’ancienne bibliothèque de la ville, ce qui permet d’exposer en alternance une expo d’archéologie et une de sciences naturelles. Il n’y a rien de permanent pour ces deux spécialités alors même qu’on conserve pour tout le département Nous avons par exemple 44000 pièces de Chalain et Clairvaux classées UNESCO. Pour donner une visibilité aux collections de Lons, on prête énormément, ce qui nous permet d’être présents dans des expositions et des catalogues internationaux. Ce qui est dommage, c’est que l’on peut voir nos collections par exemple à Berlin mais pas dans le Jura, ce qui est frustrant. Nous prêtons par contre des pièces aux musées de Dole et St Claude et vice et versa. Il faut souvent renouveler les expositions car s’il est facile de faire venir quelqu’un, il est plus difficile de le faire revenir. Nous sommes à peu près autour de 10 000 visiteurs par an ce qui est très peu. Je pense que nous n’avons aucun facteur attractif…

Patte de Platéosaure. ( photo muséee de Lons le Saunier )

Comment sont constituées les collections ?
Les collections en archéologie sont constituées par les fouilles qui sont faites dans le Jura. Au niveau des beaux arts, il y a quelques donations et quelques achats. Rien à voir avec les quantités en archéologie. Tout ce qui rentre n’est pas forcément étudié, il faut d’abord procéder à l’inventaire. Tout le monde ici a une spécialité, l’objectif étant d’étudier les collections et de les valoriser sous formes d’expositions, de publications, de films. Nous sommes une petite équipe, c’est pour cela que nous avons une politique de travail en réseau, avec des universités, le CNRS….
Tous les labos qui travaillent en archéologie peuvent venir travailler ici sur les collections, car nous ne sommes pas spécialisés sur telle ou telle période. Nous sommes en relation avec la France et l’étranger et des chercheurs viennent œuvrer ici. Par exemple, des chercheurs de Strasbourg sont venus travailler sur la génétique du bœuf, du chien et du cochon. Prochainement ce sera sur le verre du haut moyen-âge. Ce sont des compétences que nous n’avons pas.

Les bijoux de la Comédie ( photo musée de Lons le Saunier )

Combien d’œuvres sont conservées ? Comment sont-elles valorisées ?
Il y a des choses emblématiques de Lons, par exemple le Platéosaure qui est une espèce de dinosaure par lequel les gens connaissent Lons. Pour les périodes plus récentes, il y a toutes les collections Chalain et Clairvaux datant du néolithique. Il y a les collections antiques d’exception de Villards-d’Héria, ainsi que la collection de bijoux mise au jour à la Comédie à Lons le Saunier, plus de 70 bijoux romains, soit la seconde collection d’Europe. La liste serait longue tellement nos collections sont riches. Nous avons plusieurs millions de pièces avec en moyennes 30 000 rentrées par an.
Pour les valoriser, nous avons fait le choix de ne pas avoir de restaurateurs à demeure, c’est un choix financier. On fait appel à des prestataires extérieurs quand le besoin se fait sentir. Nous sommes 8 personnes dont 3 en charge des collections. Le recrutement de cette équipe a été un challenge important. Nous fonctionnons depuis 10 ans avec une équipe complète.

Instruments de pêche du néolithique. (photo musée de Lons le Saunier )

Pouvez-vous nous parler du bâtiment qui est qualifié de « coffre-fort géant» ?
La conservation des collections exige un contrôle très strict des variations hydrométriques et des dérivés de température. Le bâtiment a été construit pour qu’il soit de haute qualité environnementale, il a été conçu comme un coffre-fort pour protéger les collections. La technique de construction du gros œuvre est la même que celle utilisée pour les abris des sous-marins. Nous sommes auto-suffisants, le toit est couvert de panneaux solaires, l’eau est récupérée et on exploite la géothermie. Le bâtiment est en partie enterré et seuls les bureaux ont une vue sur l’extérieur. C’est le premier de ce genre en France avec un budget relativement serré de 3 millions d’euros.
Le centre est également ultra sécurisé car, il y a un usage qui veut que des œuvres souvent d’une valeur inestimable transitent et soient stockées pendant de courtes périodes. Par exemple, de grosses expositions qui partent de Suisse à Paris ou de Paris en Italie avec des pièces assez extraordinaires ont été accueillies ici.

La Bastille, maquette darant de la révolution.

A quoi sert d’avoir de belles collections si elles restent cachées, pourquoi pas un musée virtuel ?
Il est vrai que le manque d’un musée digne de ce nom nous oblige à faire des choix, donc si le public ne peut venir à nous, c’est à nous de venir à eux. On va par exemple à la maison commune, dans les écoles, à l’hôpital de jour pour les enfants, les centres de vacance l’été. Il ne faut pas attendre de ces publics là qu’ils viennent à nous. Nous faisons également des conférences avec des objets ainsi que des visites au musée. 4000 enfants des écoles sont concernés chaque année. Nous essayons d’aller vers des publics « empêchés » soit socialement soit malades comme l’hôpital de jour.
Pour le musée virtuel, je suis d’accord sur la démarche, mais il faut que ce soit une invitation car par définition, un musée ne peut pas être virtuel, il se doit de présenter des pièces originales. Le musée virtuel est une invention de notre ministère. Il se trouve que l’exposition que l’on  a actuellement sur le néolithique des lacs qui est temporaire doit vivre parce qu’elle est importante pour le patrimoine national et international. On va donc filmer cette exposition, développer des reportages autour. On l’appelle exposition virtuelle. Je ne suis pas un fanatique de cela, j’aime trop les objets pour se contenter de les montrer virtuellement.

Vestiges gallo romains.

Prévoyez-vous des événements particuliers pour 2022 ?
Notre rythme d’expositions est toujours le même, une très grande exposition qui a lieu du printemps à l’automne à Lons le Saunier consacrée cette année aux sciences naturelles et aux sciences physiques entre ce qui est vrai ou pas. Face aux discours que l’on entend aujourd’hui, les fake-news par exemple, la science à travers les siècles a toujours voulu démontrer, souvent à l’encontre des religions et des superstitions la réalité des choses. Cette exposition se fera avec la collaboration de collègues suisses. Comme tous les ans, on aura l’objet du mois. Un objet est présenté tous les mois dans une petite vitrine en salle de peinture. Le but est de montrer la diversité des objets conservés ici. Actuellement, c’est une borne de 1743 qui limitait les zones où Château Chalon percevait une dîme, c’est un objet curieux qui appartient à notre histoire. Il y aura aussi un livre illustré d’une centaine de dessins d’Edmé Perrin de Saux qui va sortir. Il a dessiné le Jura pendant cette période de 1850 qui a été très peu représentée. C’est une période charnière qui a précédé l’invention de la photographie qui allait tout révolutionner. Ce livre sera en vente au musée.

Colection de statues.

Le nouveau musée parait être dans une impasse, quel est l’avenir de l’hôtel Dieu, musée, pôle culturel …. ?
Tout d’abord, un peu d’histoire. Le musée de Lons a été fondé en 1817 et était à l’origine associatif et se prénommait  le Musée de la Société d’Émulation du Jura. De 1817 à 1857, il s’est développé comme un cabinet de curiosité dans l’esprit du XVIII ème siècle. Les bienfaiteurs enrichissaient les collections, afin que le musée puisse représenter le patrimoine local en terme de science naturelle, d’inventions, d’histoire et puisse faire voyager les gens qui n’avaient pas les moyens de le faire. Des missionnaires et des militaires ont ainsi enrichi le musée.
A partir de 1857, la société d’émulation a opéré un transfert à la ville de Lons. Jusqu’à cette époque, il n’y avait pas de lieu fixe, donc les différents déménagements ont occasionné des pertes et des détériorations importantes. Ce transfert à la bibliothèque a fait que c’est devenu un service communal en gardant le fait d’être un service départemental pour l’archéologie, ce qu’il est toujours actuellement. Il a même été ajouté une aile supplémentaire à la mairie pour accueillir ce musée où il se trouve encore actuellement. Pour la première fois le musée a eu un cadre digne de ce nom. Maintenant le musée a trois départements, l’archéologie, les beaux arts, les sciences naturelles, et un petit peu d’ethnologie extra européenne.
Dans les années 80, la municipalité avait souhaité donner un cadre digne de ce nom aux collections jurassiennes et notamment l’archéologie. Il y a eu beaucoup de projets depuis 1981, jusqu’en 2005. Musée dans la ville, à l’extérieur, dans des bâtiments anciens, dans des nouveaux. Ces projets n’ont jamais abouti. En 2005, j’ai été recruté pour élaborer un nouveau projet qui reparte de zéro. Nous avons abouti à la construction du bâtiment abritant le Centre de Conservation et d’Étude. L’installation dans l’hôtel-Dieu qui était prévue a été stoppé pour le moment. Il faudra relancer les budgets de faisabilité et d’étude pour j’espère, envisager un nouveau projet qui aboutisse.