Éditorial

Le mystérieux voyage

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Ils vulgarisaient la science mieux que personne. Ils possédaient ce rare talent de parvenir à émouvoir et à transporter leur auditoire dans une autre dimension, en seulement quelques phrases. Ils s’amusaient à explorer des questionnements existentiels et philosophiques grisants, persuadés d’en repousser les limites, s’approchant le plus près possible de notre humaine zone interdite : l’existence de Dieu, la mort, le temps, l’espace, d’où venons-nous, qu’y a-t-il après ?
Les obsèques des deux célèbres jumeaux, Igor et Grichka Bogdanoff, se sont déroulées lundi dernier. La messe a débuté vers 15H00 à l’église de la Madeleine à Paris, où s’était aussi tenue la cérémonie funéraire en hommage à Johnny Hallyday, un certain 16 décembre 2017. S’y étaient notamment déplacés le chanteur Francis Lalanne, l’écrivain Raphaël Enthoven, l’ancien ministre Luc Ferry ainsi qu’un bon millier d’anonymes.
J’ai toujours aimé m’abreuver de ces hommages télévisés poignants.
Parfois décriés pour leurs thèses universitaires dont certains membres de la communauté scientifique contestaient le travail, mais le plus souvent admirés pour leur pertinence, leurs envolées lyriques et leur inimitable sens de la narration, les frères Bogdanoff ne laissaient jamais indifférent.
J’avais eu l’occasion de les rencontrer à Dijon, il y a plusieurs années.
Lors notre entretien, en évoquant le journalisme, la littérature, l’écriture et son processus de réalisation, nous nous étions découvert une particularité commune : ce trouble du spectre autistique, qui rend parfois impossible certaines interactions sociales, peut conduire à de fâcheuses réactions émotionnelles disproportionnées mais décuple l’acuité d’expression des perceptions… Chaque médaille a son revers.
« Le tout est d’apprendre à suivre notre route avec cet encombrant baluchon, de manière suffisamment acceptable. De faire avec. Même si c’est souvent compliqué… Et que très peu de personnes peuvent réellement assimiler nos ressentis » avait-on conclu ensemble.
Ce moment d’intense connexion cérébrale et spirituelle restera gravé dans ma mémoire. Il m’a aidé à trouver ma place.
Incompréhensible pour bon nombre, au vu de leurs considérables connaissances scientifiques, leur décès lié aux suites de la contraction du Covid-19 n’a pour moi rien d’étonnant.
Amélie de Bourbon-Parme, ex-épouse d’Igor Bogdanoff, confirmant que les deux frères n’étaient pas vaccinés, a souligné avec subtilité le fragile équilibre des équations personnelles complexes et élaborées.
« Ils n’en faisaient pas un sujet politique. Ils n’évangélisaient personne. C’était une décision personnelle liée à leur phobie des médecins et des médicaments. Il y a un lien avec le sujet de la mort qui était tabou pour eux et qui les fascinait. Ils ne voulaient pas regarder la mort et ne voulaient aucun lien avec elle, préférant l’oublier. Ils étaient fascinés par la science et les découvertes. On n’est jamais à une contradiction près… »
Sur le livret de messe, une photo des jumeaux trônait, mentionnant cette phrase qui leur est attribuée : « Dans l’univers rien n’est impossible ! ». Je le pense aussi.
Igor et Grichka Bogdanoff étaient confiants sur l’issue de l’existence. Sans dogme religieux, ils incitaient à la transcendance. Alors qu’y a-t-il après ?
En écrivant ces mots je ressens de la joie. Je sais qu’ils sont heureux, car désormais, ils ont enfin la réponse…