Il est des destins peu ordinaires, inscrits en nous dès notre naissance. Cette envie de croquer la vie à pleines dents, de découvrir les milles et unes facettes du vaste monde, de s’y perdre pour mieux s’y retrouver… S’y perdre, c’est déjà ce qu’expérimentait un gamin de 12 ans, dans les vastes forêts du Haut-Jura.
« L’hiver, j’attendais qu’il fasse nuit et je partais en ski de fond à travers les forêts de Longchaumois. Toujours plus loin, toujours plus loin, jusqu’à être perdu et devoir retrouver tout seul le chemin de la maison. Et si je la retrouvais trop vite, alors j’étais déçu… ». C’est ainsi que commence l’étrange destinée de Pascal Bejeannin, d’autant plus que rien ne le prédisposait à un tel penchant, dans une famille où son père était chef d’entreprise.
En CM2 déjà, le jeune garçon avait pourtant mis à profit ses prédispositions pour aider ses petits camarades : « Lors d’une sortie scolaire au Crêt de la Neige, notre petit groupe d’élèves s’est égaré dans les monts Jura.
Impossible de retrouver le reste de la classe…certains ont commencé à pleurer » se souvient-il. Je leur ai dit : « On va par là : on peut redescendre dans la vallée, trouver une rivière et la suivre. S’il y a de l’eau, c’est qu’il y a des maisons ».
Un état d’esprit à la Joseph Kessel qui ce jour là permit de retrouver non loin de là le reste de la classe, une sorte de don pour l’Aventure avec un grand A comme « Arrivera ce qui arrivera !».
Dés l’âge de la conscription venu, il s’engage dans les chasseurs alpins en 1983 puis prolonge son service comme Casque bleu au Liban alors que sa voie était toute tracée : « Reprendre l’entreprise familiale », une entreprise où il travaillera néanmoins comme monteur-régleur avant de pouvoir larguer les amarres. Car un rêve le talonne : bourlinguer, partir que ce soit dans le domaine humanitaire, social ou militaire.
Et pour lui donner des ailes, quoi de mieux qu’un avion ? « Je voulais être pilote de brousse, mais pas de bol cela a capoté » se rappelle t-il. Qu’à cela ne tienne, c’est en ULM qu’il prend son envol en 1985 : « En plus de mon travail à l’usine, je tractais des banderoles publicitaires dans la région des lacs jurassiens, et j’avais pour projet de relier Moscou en ULM pour célébrer la chute du mur de Berlin ».
« L’aventure, c’est s’exposer »
Un projet fou, trop beau pour se réaliser…mais son instructeur de vol n’est autre qu’un ancien mercenaire de Bob Denard, qui l’introduit auprès du président des Comores, Ahmed Abdallah Abdéremane : « J’espérais moi aussi devenir mercenaire et piloter l’avion présidentiel ».
Nouveau coup du sort : le président de la République est assassiné par d’autres mercenaires ! Dans ce décor qui fleure bon les Tontons flingueurs, c’est à travers l’humanitaire que Pascal Bejeannin trouvera son accomplissement.
D’abord via ATD Quart Monde en 2002 pour diverses missions : « retaper une maison victorienne à Londres pour y héberger des familles pauvres, ou gérer une maison d’accueil pour alcooliques à Paris ». Une vocation qui grandira en Afrique à partir de 2004, à travers Médecins Sans Frontières (MSF), et où il vivra des incidents rocambolesques à plusieurs reprises, notamment en République Démocratique du Congo (lire encadré). « J’ai suivi une formation de logisticien » pour y fournir de l’électricité, de l’eau, des véhicules, des logements, des vivres, des médicaments et tout ce qui pouvait bien y manquer détaille t-il. « J’avais carte blanche, une époque révolue : aujourd’hui les expatriés ne sortent guère du bureau et sous-traitent les missions » livre-t-il. Pas le style du gaillard, au contact direct de la population…quitte à se voir par exemple affublé d’un pygmée de 1 mètre comme garde du corps.
Otage du Hamas dans la bande de Gaza
Autre saut dans l’espace-temps : bande de Gaza, 2018, une Kalach braquée sur le flanc. « J’avais à nouveau signé comme logisticien pour MSF, dans cette région en perpétuelle guerre entre Israéliens et Palestiniens » se remémore le champagnolais. Avec pourtant dans chaque camp, autant de fanatisme, de corruption, et de violence.
« J’ai pris des photos qui ont dérangé le Hamas » (mouvement islamiste palestinien de résistance contre Israël, NDLR). « Kalachnikov braquée sur moi, ils m’ont conduit dans une cellule où je suis resté enfermé 10 heures, car ils étaient persuadés que j’étais un espion israélien ». Dix longues heures, où chaque seconde aurait pu être la dernière, car à l’époque la mode était à l’égorgeage d’otages occidentaux.
« Heureusement j’ai la baraka. J’ai de la chance pour me sortir de situations compliquées, je joue parfois d’un regard pour renverser la situation ». Il suffit parfois d’un mot pour garder la vie sauve, ce qui fût encore une fois le cas cette fois-ci. La fois de trop ? Pascal Bejeannin n’en dira rien, mais à l’aube de la soixantaine, le baroudeur invétéré s’est –un tantinet- assagi pour se consacrer à d’autres passions qui habitent également toute son existence : l’art.
Peintre et sculpteur autodidacte, il se plaît dans ce domaine et a exposé jusqu’à New-York, Pékin, Taïwan ou Singapour avant d’imaginer un projet inédit : « Art’ situ », ou comment sculpter des espèces en voie de disparition, avant de les immerger dans leur milieu naturel. Ours polaire au Groenland, gorille en Afrique, tortue luth aux Galapagos…l’homme caméléon n’arrête jamais et amène à réfléchir aux bouleversements climatiques.
« Rendre possible l’improbable », voilà au final ce qui pourrait symboliser la vie de celui qui « voulait vivre comme dans les tableaux des grands maîtres lorsque j’étais gosse ». Sans en tirer la moindre gloriole, car « tout cela était écrit, telle une évidence ; je voulais juste être acteur de ma vie » confie celui qui a vu tant de guerres, tant de chaos.
« L’homme est un loup pour l’homme » constate t-il mais pire que cela, il existe les regrets de ne pas avoir osé. « Trouver des raisons de faire, plutôt que de trouver des excuses de ne rien faire », là est toute l’astuce qu’il essaie désormais de transmettre aux jeunes générations.
« J’étais moins bon que vous à l’école, mais j’ai accompli mes rêves » témoigne t-il auprès d’eux. « La vie ne passe pas par les réseaux sociaux. Lorsqu’on met ses pensées en adéquation totale avec ses actes, voilà le bonheur, le vrai ». Dont acte.
La rédaction
Contact : Facebook Art’ Situ
Un demi-Dieu vivant au Congo
Dans une aventure à la Hergé, Pascal Bejeannin se souvient d’une mission humanitaire pour le compte de MSF en République Démocratique du Congo (RDC). « Dans un village dont l’école s’était écroulée, j’avais maille à partir avec le tout-puissant prédicateur, car l’Afrique reste le royaume des croyances.
Lui ne voulait pas reconstruire l’école, moi si. J’ai été appelé à 3.000 kilomètres de là au Katanga en proie à la guerre civile, on venait d’y brûler vifs 10 enfants soldats. Mais je lui avais dit au culot avant de partir que sa maison brulerait s’il restait inflexible.
En rentrant dans ce village, je fus considéré comme une sorte de Dieu vivant : il avait fait construire deux cases pour sa famille, et ses enfants –jouant à mettre le feu à des fourmis- avaient enflammé la demeure familiale ! L’école fût très vite construite ».
Dans la même veine, l’artiste champagnolais pu être pacificateur entre deux villages qui voulaient se massacrer joyeusement, pour cause d’une maigre rapine. « Je suis allé dans un des deux villages, où j’ai vu que les hommes fourbissaient leurs armes et s’alcoolisaient avant l’assaut.
J’ai donc foncé dans l’autre village où à force de palabres, j’ai pu récupérer le butin pour le rendre à ses propriétaires ».
Un happy end en forme de goutte d’eau dans un océan : « Nous avions aussi installé un puits dans un village avec l’accord des chefs coutumiers, mais les femmes l’ont saboté. Nous nous sommes rendus compte qu’elles préféraient -comme avant- aller puiser l’eau à plus de 5 kilomètres et la ramener sur leurs têtes, car il s’agissait d‘un de leurs rares espaces de liberté et de socialisation ».
De quoi forcer les « Blancs » à rester humbles…
‘Marche ou crève’ pour les caïds de Laponie
Laponie, 2005-2010, -40°C.
Immensités désolés, petits ou gros délinquants sortis de leurs cités pour un « séjour de rupture ». Une alternative à la prison où ils étaient incarcérés, et 6 mois de discipline façon commando pour leur inculquer l’esprit d’équipe, le goût de l’effort et du droit chemin.
« Ils se prenaient pour des hommes car ils insultaient les forces de l’ordre, mais ce n’étaient que des gamins » se souvient celui qui était alors devenu éducateur social, une autre de ses missions.
« Quand l’un d’eux me disait ‘Nique ta mère’ et refusait d’avancer, je lui disais qu’il pouvait s’asseoir s’il le préférait. Seul, en 15 minutes par -40°C et un vent violent, c’était la mort assurée ! ».
Autre ambiance dans un autre Centre d’Education Renforcée en Guyane en 2017 où, invité par des pygmées à chasser en forêt, il « n’arrivait pas à les suivre, tellement ils étaient agiles », une expérience éducative destinée aux jeunes délinquants poursuivie au Brésil.
Aventure versus culture du risque zéro
Que penser d’une société dont les idéaux, l’alpha et l’oméga tiennent en un seul mot : sécurité ? Pour notre irréductible jurassien, pas de doute : « Notre civilisation européenne s’est assoupie, comme les romains au début de leur fin.
On est hyper-protégés : face à d’autres qui le sont moins, on ne fera pas le poids ! Etre victime est presque devenu un métier. Tout un chacun se tourne vers l’Etat en cas de problème, alors que ce serait à nous de nous battre ».