Cul sec

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Gérard Bouvier.

Saison des vendanges, des foires aux vins. Saison des publi-reportages (1) et des
catalogues nous invitant à nous alcooliser jusqu’à plus soif. Dans nos journaux, sur
nos écrans et sur nos murs, il faut être à la page cépage et savoir tomber dans le
panneau. Nous devons fêter les évènements sportifs et donner le sens de la fête et
l’amour de la bière à notre jeunesse qui parfois s’ennuie (2). C’était jadis après le
match la troisième mi-temps. Par prudence pour conjurer la glorieuse incertitude du
sport et parce qu’un « tiens vaut mieux que deux tu l’auras » (3) c’est désormais
aussi avant le match. Claude Évin qui en 91 avait obtenu une loi pour réduire la
publicité pour l’alcool est aujourd’hui bien vintage. Il y a beau temps que sa loi est
Évin C.
C’est le moment de réviser nos grands mots de l’alcool est du vin.
Ça nous donnera, en ces temps difficiles, un p’tiot coup de r’gingot (4). Le terme est
comtois et il nous encourage après un petit coup de moins bien à ginguer de
nouveau. Autrement dit à danser, à sauter de joie. Avec modération sinon les boillus,
ces buveurs excessifs, finiront ronds comme des queues de pelle. Ou ronds comme
des culs de bol (5). À trop lever le coude on risque un coup dans l’aile et on va
prendre du ventre. Mystère de la muscu des assoiffés.
C’est qu’un canon en appelle un autre et -qui l’eut cru ?- c’est la cuite. La biture. On
picole, on se bourre, on écluse… On s’en jette juste un dernier petit dernier derrière
la cravate et nous voilà râpé comme une queue de bique. On croyait biberonner
tranquillou et voilà qu’on s’est torché sans même s’en rendre compte. C’est le
problème quand on a une bonne descente et le gosier en pente.
On était parti fin dru mais on va rentrer mâchuré. Autant dire noir.
Dommage.

Notes pour une meilleure compréhension du texte :

(1)- En ces temps de déserts médicaux un nouveau médecin qui s’installe a le droit
de faire paraitre dans votre journal local cette annonce. Lisez bien vous ne la
rencontrerez pas souvent !
Le Docteur X, Médecine Générale, vous fait part de son installation au … (adresse) à
compter du …, Tél… C’est tout. Au-delà il risque les foudres du Conseil de l’Ordre.
Un nouveau brasseur a droit à un quart de page illustré de visite guidée, tarifs et
photos en couleur. À votre santé ! Ne prenez pas froid…

(2)- Le reportage qui ouvrait le JT de TF1 avant Uruguay-France de rugby à Lille
montrait complaisamment des buveurs de bière en liesse. Chaque nouveau plan
laissait espérer un cadrage-débordement sur des images moins moussantes, mais
Non ! on revenait plans après plans à des groupes qui exhibaient goulument leurs
gobelets de bières. Difficile de résister. Je m’en suis ouvert une…

(3)- « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » est la conclusion d’une des plus
belles fables de La Fontaine devenue proverbiale. Morceaux choisis :
Un carpeau qui n’était encore que fretin
Fut pris par un pêcheur au bord d’une rivière…
(Conscient qu’un mauvais moment s’annonçait il négocie mais en vain)…
Poisson mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous aurez beau dire ;
Dès ce soir on vous fera frire.
Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.
Si ça n’est pas la preuve qu’il vaut mieux commencer ses bières avant le coup
d’envoi !

(4)- Le regingot comtois est ce petit plus qui permet de retrouver son envie de
ginguer, c’est-à-dire de sauter, danser, donner des coups de pieds.
C’est pareil que la jument : si tu la voyais ginguer, tu dirais un poulain de six mois.
Marcel Aymé, La Table aux crevés (1929-Chap. XIII).
La famille est riche. Ginguer, agiter les jambes, a conduit à gigoter et à la gigue une
danse un peu passée de mode. De gigoter en agitant les jambes et donc les cuisses
on arrive au gigot, la cuisse du mouton ou du chevreuil. Par plaisanterie on assimile
bientôt le gigot à la cuisse humaine (1644). Et « remuer le gigot » devient en 1650
une façon populaire d’évoquer une activité humaine que je vous laisse deviner.
L’expression a disparu. L’activité a subsisté.

(5)- Être rond peut s’évoquer de bien des façons. Chez nous la queue de pelle sert
d’étalon de l’alcoolémie.
Mais l’ivrognerie des peuples a été figurée de bien des façons : les anglais trouvent
certains de leurs congénères ivres comme un putois ou souls comme un marin en
permission. Plus élégant : ils peuvent reprocher à certains des leurs d’être perchés
comme un cerf-volant. Le slovaque est parfois bourré comme un cochon ou bourré
comme un canon. En Hollande il arrive qu’on soit ivre comme une échelle ( !?). Le
wallon est parfois ivre comme une grive. Nous l’étions aussi il y a bien longtemps –
c’était avant que nos grives s’habituent au raisin fermenté- quand Madame de
Sévigné (1626-1696) écrivait : « Il y avait l’autre jour Madame de Louvois qui
confondit ce qu’on dit d’une grive. Elle dit d’une autre que celle-ci était « sourde »
comme une grive ! Ce qui fit rire. »
Ça n’est pas très joli de se moquer de quelqu’un qui se moque…