Claude Quittet, une vie là où allait le ballon

Enseignant au lycée Jacques Duhamel de Dole, Claude Mathey propose une passionnante biographie du footballeur international et Franc-Comtois Claude Quittet. C’est aussi l’histoire d’une autre époque du football.

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Thierry Mathey et Claude Quittet. Photo : DR
1967, finale de la coupe de France entre le FC Sochaux et l’Olympique Lyonnais. Claude Quittet présente les joueurs du FC Sochaux au général de Gaulle.
1967, finale de la coupe de France : Claude Quittet, capitaine du FC Sochaux, avec Fleury di Nallo, un phénomène de l’époque. Robert Lacoste est l’arbitre.
1974, finale de la coupe de France entre l’AS Monaco et l’AS Saint-Etienne. Après le match, certes perdu, réception à l’hôtel George V. Assis de gauche à droite : la princesse Grâce de Monaco, le prince Rainier III, Claude Quittet et le prince Albert.

C’était à l’issue de la saison 1975-76. À Besançon, Claude Quittet se retirait de la carrière professionnelle, jouait ses dernières minutes avec le RCFC. La passion du foot, il la prolongeait aussitôt chez les amateurs de Chateaufarine, qui évoluaient en promotion d’honneur. La nouvelle fila le long des mains courantes. On apprécierait donc l’ancien capitaine de l’équipe de France sur les stades de Lons-le-Saunier, Champagnole ou Clairvaux-les-Lacs. Voilà bien un évènement. On vit donc Claude Quittet à Lons-le-Saunier, par un bel après-midi qui ne s’annonçait pas comme les autres. Michel Vautrot était sûrement dans les parages – on avait l’impression qu’il était toujours dans les parages. Sur le pré, l’affaire tourna court. Un méchant coup de godasse envoya l’ancien sochalien sur le banc. On avait eu le temps, quand même, d’apprécier quelques jolis gestes.

Bien des décennies après, ces souvenirs reviennent quand vous arrive entre les mains un précieux livre. Tout une vie de Claude Quittet, gentlemen du football, et bien plus. Le tableau d’un football d’un autre temps. Figurez-vous qu’il existait avant 1998, voir avant le PSG de notre époque. Les joueurs étaient liés jusqu’à 35 ans aux clubs, il n’y avait pas de ligue professionnelle, un seul changement par match – le célèbre douzième homme -, avec deux étrangers pas plus inscrits sur la feuille de match, et une rareté télévisuelle. Surtout, depuis l’épopée de la Coupe du monde de 1958 et le règne du « Grand » Reims, les dirigeants du football peinent à donner un cap au football professionnel, et à l’équipe de France.

Trois livres en un

Le livre est l’œuvre de Claude Mathey, conseiller principal d’éducation au lycée Jacques Duhamel de Dole. Il avait tâté un peu du football, surtout du tennis de table. Divers événements, sans conséquences prévisibles, le mettent en contact avec Claude Quittet comme, en 2004, un match de foot amical à Besançon. On lie connaissance, on se rencontre, on se revoit, on discute. Diagnostic : il n’est pas possible de laisser une vie pareille sans la raconter. Alors, « en 2017, on a franchi le pas » confie Claude Mathey. Bien vite, l’auteur sort du conformisme d’usage pour ce genre de livre de souvenirs.

Méthode éprouvée : on se réunit, on raconte, on enregistre, on transcrit, on rédige, on publie. Hopla ! Ben, non. Appuyé sur sa collection de France Football, au fil des souvenirs, l’auteur remonte le temps et foule les pelouses des années soixante et soixante-dix. Il raconte d’abord l’histoire d’un jeune gars né à Mathay en 1941 à une dizaine de kilomètres de Sochaux qui s’en alla un jour frapper crânement à la porte du patron du vénérable club sochalien, pour y entrer pour un long bail. Ensuite ce sera Nice, Monaco, et le RCFC à Besançon. C’est un premier livre. Thierry Mathey interroge ensuite Claude Quittet sur sa carrière et les us-et-coutumes de l’époque. C’est un deuxième ouvrage. A ce moment un troisième livre s’ouvre avec des dizaines de témoignages (lire encadré) pour se terminer par des prolongations pleines d’idées – notamment les équipes types de Claude Quittet.

Au final un livre de quelques 570 pages, qui nous attache justement à un personnage attachant. A vrai dire, en le lisant, on n’en a presque rien à faire si le football français ne réussissait pas grand-chose à l’époque – même s’il fallait quand même réagir. Certes, c’est aussi une injustice si ces footballeurs n’ont pas eu les moyens d’exprimer leur talent à l’égal de leurs collègues européens. Il en reste toutefois l’image d’une époque élégante – Claude Quittet était toujours tiré à quatre sinon cinq épingles -, gourmande de jeu. Une époque, belle quand même.

Jean-Claude Barbeaux

– Photos : collection Claude Quittet.

-Claude Quittet, au stade des souvenirs, par Thierry Mathey, préface de Michel Vautrot, nombreuses illustrations, éditions Cêtre, 570 pages, 28 euros.

Encadré

Le but à 134 passes

Romain Arghirudis passe à Jean-Pierre Ascery qui prolonge vers Henri Atamaniuk qui s’appuie sur Marcel Aubour et ainsi de suite, de À à Z, jusqu’à Jules Zwunka. Au total, ils sont 134 à toucher le ballon, c’est-à-dire à donner leur témoignage sur Claude Quittet – et souvent on ressent comme un don. Ils ont côtoyé Claude Quittet en club ou en équipe de France, ont ferraillé aussi contre lui.

Au début Thierry Mathey ne songeait, dit-il, qu’à quelques témoignages, puis en s’enhardissant il a composé les numéros de téléphone de joueurs de plus en plus prestigieux, parfois sans trop y croire – « Hello, Mister Skoblar… ». Réussite au-delà des espérances, car le nom de Claude Quittet évoque des souvenirs à tout le monde, à commencer par un profond respect pour sa personnalité. Vous vous en souvenez des Bernard Bosquier, Georges Carnus, Didier Couécou, Fleury di Nallo, Jean Djorkaeff, Gilbert Gress et des autres ? Ils sont tous là. Il y a de l’émotion dans ces témoignages qui n’ânonnent les propos lénifiants des conférences de presse d’après-match.

La longue et généreuse intervention d’Aymé Jacquet édifiera les générations sur la place de Claude Quittet et sur l’esprit du jeu de l’époque. Claude Mathey a longtemps hésité avant d’appeler Aymé Jacquet dont on sait qu’il mesure sa parole publique. Aymé Jacquet : « Depuis quelque temps, je refuse beaucoup d’interviews et de projets, mais je me suis dit que pour Claude, je ne pouvais pas faire ça : je me suis souvenu de trop de bons moments avec lui ». Allez-y direct : pages 445-447.