Rubrique. Grands mots, grands remèdes : Les marrons du feu

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On aurait tort de croire que nos grands mots restent figés pour demeurer à jamais. Ainsi l’expression « tirer les marrons du feu » (1) qui connait aujourd’hui un regain d’actualité tant, sous nos climats, les feux embrasent nos campagnes… électorales. À l’origine, l’expression signifiait que l’on s’exposait au danger ou que l’on se donnait grand peine au bénéfice d’autrui (3) Cette posture fut vite jugée plus rigolote qu’utile, plus stupide que vraiment avantageuse. On l’abandonna bien vite quand la générosité mourut un soir foudroyée par des compromis sans vertu. Jean de la Fontaine avait promu la méthode : le Chat tirait délicatement les marrons du feu, prenant grand risque de se brûler les pattes, avant que le Singe ne l’escroque et les croque. Dans la fable, le chat s’appelle Raton. C’était un mauvais début. Mais il est vrai que Chaton, plutôt réservé aux minauderies d’alcôve, eut porté à soupir et à sourire (4). Le sens premier de cette expression a évolué avec le temps qui passe et quelques échanges de marrons en pleine poire. Probablement le plus souvent mérités. Mais est-ce à moi d’en juger ?
Ainsi dans sa version actualisée 2.0 « tirer les marrons du feu » décrit un comportement opportuniste où l’on profite d’une situation pour bénéficier de divers avantages. Plus de Chat, plus de Singe, plus de patte brulée apaisée dans La Fontaine, plus de cris ni chuchotements, juste une entourloupe bien ficelée et on passe à la caisse.
Voilà qui en dit long sur l’évolution de la moralité dans notre société où la bonté et l’émotion empathique ont laissé place au profit immédiat et à l’attaque à l’arme blanche.
Je m’énerve pas, j’explique.

Quelques notes pour aider à supporter ces temps difficiles…

(1)- Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons Regardaient rôtir des marrons. Les escroquer était une très bonne affaire : Nos galands y voyaient double profit à faire, Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui. Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui Que tu fasses un coup de maître. Tire-moi ces marrons. […] Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte, D’une manière délicate, Écarte un peu la cendre, et retire les doigts, Puis les reporte à plusieurs fois ; Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.(2) Et cependant Bertrand les croque. […]
Jean de la Fontaine, Fables, Le Singe et le Chat (1678).

(2)- Escroquer signifiait à l’époque soustraire quelque chose à quelqu’un par fourberie et pour manger ou vivre à ses dépens et le verbe escroquer était d’usage encore récent. Il date de 1557

(3)- Cette expression qui signifiait se donner de la peine au seul profit d’autrui ne manquait pas de panache. Le panache fut à ses débuts un bouquet de plumes ornant un casque militaire. Aujourd’hui, on ne manque pas de toupet si bien que cette fioriture n’a plus guère de sens. Pas plus que se couvrir de cloques pour tirer les marrons du feu au bénéfice d’un tiers. Il faut savoir évoluer. Ou au minimum mettre des gants. Les italiens ont une expression malicieuse : tirer le crabe du trou avec la main d’autrui. Mais il faut bien des palabres en Calabre pour convaincre le dénommé Autrui.

(4)- La liste des mots doucereux qu’on dit à une femme à toutes fins utiles est abondante. Attention cependant de bien choisir car le doucereux peut très vite être fade. Et même fadasse si vous n’y prenez garde. Restez motivé car le doucereux est aussi enjôleur, onctueux. Mais soyez méfiant : on le dit aussi flatteur tout autant qu’ hypocrite. En fait c’est le ton avec lequel on le prononce qui fait toute la différence. Il est recommandé de prononcer les minauderies que vous avez choisies pour votre commerce quotidien plusieurs fois par jour devant une glace de bonne qualité et de le faire aussi longtemps qu’il faudra. Quitte à le faire pendant des années.

« Mon chat » plait toujours. « Ma chatte » doit être réfléchi et ne doit pas choquer dans un contexte difficile qui peut conduire au scabreux. « Ma puce » a ses adeptes. Ses dérivés « pupuce » ou carrément « ma pupuce » emballent à peu de frais. Il est vrai que de la puce émane un romantisme authentique pour peu qu’elle s’en donne la peine. Mais la puce a aussi ses points faibles. Difficile de comprendre comment la puce, pulex irritans, parasite pugnace, qui nous gratifie d’un prurit démangeant et dérangeant a pu obtenir d’envahir le vocabulaire amoureux. D’autant que nous avions déjà ma biche, mon chou, mon trésor et diverses autres onomatopées charmantes. Si vous aimez les animaux qui sautent n’oubliez jamais « mon lapin » en excluant toutefois « ma lapine » qui introduit des connotations disgracieuses. Si vous aimez sauter mais pas à ce point quand même, il reste « ma sauterelle » qui dans l’inconscient collectif symbolise -dit-on- la gaieté et la réincarnation.