La crise récente dans le secteur agricole met en lumière les limites du productivisme. Dans ce contexte difficile, Solidarité Paysans du Jura se mobilise pour soutenir les agriculteurs en difficulté et explore de nouvelles voies. Invité par l’association dans le cadre de son assemblée générale, Matthieu Cassez, ingénieur agronome, a fait un tour d’horizon des mutations qui traversent le monde agricole. Il a ainsi partagé des réflexions sur l’agriculture de demain, mettant en avant un concept clé : la sobriété.
70 ans d’évolution
Depuis l’introduction du tracteur, il y a 70 ans, l’agriculture a connu une transformation radicale. Un agriculteur seul pouvait alors travailler un hectare pour une production d’une tonne. Mais avec l’arrivée du tracteur, cette productivité a été multipliée par 2 000, permettant ainsi à un agriculteur de gérer 200 hectares du jour au lendemain, avec tous les apports nécessaires tels que les engrais et les produits phytosanitaires.
Cependant, cette modernisation a eu des conséquences importantes. D’une part, le nombre d’actifs dans le secteur agricole a été divisé par 20, tandis que les revenus stagnent et l’endettement des exploitations agricoles est en constante augmentation. Entre les années 60 et aujourd’hui, la part du budget des ménages consacré à l’alimentation a été divisée par 2, reflétant l’évolution des modes de consommation.
Impacts sur les AOP franc-comtoises
Les AOP franc-comtoises ne font pas exception à cette tendance. Entre 2013 et 2023, bien que l’évolution de la surface soit minime, la production elle, a augmenté de plus de 15 %. Cependant, une bonne partie de ces gains de productivité a été réalisée au détriment de l’environnement et souvent captée par les intermédiaires.
Face à ces défis, Mathieu Cassez expliquait l’urgence de repenser le modèle agricole actuel. Une transition vers des modèles plus sobres est nécessaire. Plutôt que de se concentrer uniquement sur l’augmentation de la productivité du travail, il est primordial de privilégier l’efficience dans l’utilisation des ressources. Cela passe par la modération des investissements et l’optimisation du système pour gagner en résilience.
Pour sortir de cette impasse, un nouveau contrat environnemental et social entre la société et ses agriculteurs est essentiel. Cela implique de rémunérer correctement les producteurs pour les services écosystémiques qu’ils fournissent, de soutenir la demande de produits biologiques, d’encadrer les marges et les volumes, de désendetter les fermes, de protéger les frontières contre le dumping social et environnemental, ainsi que de soutenir la recherche, la formation et l’accompagnement.
En fin de compte, une question se pose : devons-nous organiser la sobriété dans les pratiques agricoles, ou bien subir les conséquences de la pauvreté et de la dégradation environnementale ? La réponse à cette question déterminera l’avenir de l’agriculture et de la société dans son ensemble.
Solidarité paysans Jura : tél. 03 84 24 95 11.