La loi du marché…
Seuls 24% des Français déclarent que leur travail occupe une « place très importante » dans leur vie contre 60% en 1990. Une chute spectaculaire qui révèle de nouvelles aspirations existentielles. Par exemple, « faire carrière » n’est considéré plus un critère de réussite sociale. Encore moins d’accomplissement ou de réalisation personnelle !
Car en tête des domaines « très importants » dans la vie des Français, la famille occupe la première place avec 71% de réponses. Suivent les amis et les « relations » (46%) ainsi que les loisirs (41%), estimés « plus structurants dans nos vies ». Et ce, alors que le travail se classait encore à la deuxième place il y a 30 ans. C’est dire si le changement de paradigme est profond…
Les termes qui viennent à l’esprit des sondés quand ils entendent le mot « travail » reflètent d’ailleurs cette analyse puisque « sécurité » et « routine » arrivent en tête (27% chacun) quand le mot « fierté » arrive loin derrière (13%).
Si les Français se définissent moins par leur activité professionnelle, difficile en revanche de parler de désamour. Ils restent ainsi globalement satisfaits de leur emploi à 75%, un chiffre stable depuis une vingtaine d’années. Tout n’est donc pas perdu…
De nouvelles aspirations que les entreprises sont prêtes à entendre
La crise sanitaire (surtout l’impact psychologique désastreux des confinements et autres couvre-feux), est-elle à l’origine de ce profond bouleversement ?
Si celle-ci a sans doute joué un rôle de détonateur, la fondation Jean Jaurès évoque plutôt une « tendance de fond ».
Alors qu’attendent vraiment les salariés de leur travail aujourd’hui ?
L’aspiration au bien-être arrive évidemment en tête. Comprenez le refus d’une oppression permanente, d’un rapport hiérarchique trop brutal et du mal-être qui en découle communément appelé « burn out ».
« Ce trouble psycho-social, héritage d’un état anxio-dépressif souvent lié à un stress post-traumatique, se caractérise par un syndrome d’épuisement physique, émotionnel et mental, lié à une dégradation du rapport d’un salarié à son travail. Il est de plus en plus facilement reconnu comme maladie professionnelle, pris en charge et indemnisé comme tel » précise un médecin jurassien, affirmant « recevoir chaque semaine une dizaine de patients présentant ces symptômes qui ne trompent pas ».
En somme : « Travailler d’accord, mais agréablement ». Quoi de plus légitime ?
« Cette nouvelle relation dépassionnée au travail a pour corollaire une envie de bien-être au quotidien. Il ne s’agit plus tant de se réaliser par le travail que, plus modestement, de s’y sentir bien » précise l’étude.
Santé physique et psychologique…
Autre aspiration forte qui émerge du rapport : la santé. Les deux tiers des salariés interrogés se disent notoirement intéressés par un accompagnement de leur entreprise pour l’amélioration de leur santé physique mais surtout psychologique.
De nouvelles attentes qui préfigurent des phénomènes de démissions massives comme on l’observe actuellement outre-Atlantique ?
En France, ces nouvelles aspirations résonnent sincèrement auprès des employeurs, comme le note le rapport :
« Phénomène assez rare au sein de la sphère professionnelle, les planètes semblent alignées » entre les différentes parties prenantes.
Les dirigeants sont ainsi en grande partie convaincus du bien-fondé de ces attentes. Ils semblent avoir intégré le fait que des salariés épanouis seront non seulement plus productifs, mais aussi davantage fidèles à leur employeur dans une période où, dans de nombreux secteurs, ils rencontrent des difficultés à attirer des talents et doivent déployer des trésors de créativité pour rendre leur « marque employeur » attractive.
Comme quoi, la culture française a encore du bon…
Trois questions à Elliot Boucher
« Désormais on cherche du sens. Pas seulement une rémunération ».
Elliot Boucher, vous êtes un ancien élève de l’IÉSEG, diplômé d’un Master en Digital Marketing et Innovation. Vous avez fondé Edusign en parallèle de vos études et formé plus de 25000 étudiants via la plateforme d’apprentissage en ligne Udemy. Quelles évolutions notez-vous aujourd’hui sur le marché du travail, et notamment du recrutement ?
Depuis peu, les employés ont compris qu’ils avaient de la valeur sur le marché. Surtout les cadres. La situation s’est inversée par rapport aux décennies précédentes où l’on entendait le sempiternel mantra patronal : « Si le poste ne vous convient pas, j’en ai 10 qui attendent à la porte ». Aujourd’hui c’est l’opposé. S’il sont fiables et expérimentés, ce sont les employés qui ont 10 propositions d’emploi pour les débaucher…
Désormais on cherche du sens. Pas seulement une rémunération.
On est beaucoup plus attentif à l’image de marque de l’enseigne à qui l’on offre ses services, à son impact environnemental. Ce phénomène s’accentue et va s’accentuer encore avec l’arrivée sur le marché du travail de la jeune génération, née après 2000.
Parmi eux, beaucoup exigent du télétravail. Ils obtiennent presque toujours satisfaction.
Puisque ce qui est rare est cher, cela va-t-il faire mécaniquement augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail ?
Les conditions de travail sont déjà devenues bien différentes, et les salaires vont devoir augmenter au risque pour certaines entreprises spécifiques qui peinent déjà à recruter, de perdre leurs meilleurs éléments (les plus talentueux et les plus stratégiques). En effet s’ils n’obtiennent pas de revalorisation salariale, ils peuvent facilement aller la trouver ailleurs.
L’immense majorité des employeurs se sont remis en question. Ils ont compris qu’il ne fallait pas trop tirer sur la corde, ne pas exploiter outrageusement leurs salariés, communiquer dans la bienveillance, afin qu’ils aient envie de rester, et de rester longtemps en étant épanoui à leur poste. C’est pourquoi ils leur est proposé plus facilement qu’avant des avantages et des responsabilités. Une reconnaissance bienvenue qui finalement devient aussi profitable à l’employeur qui n’a souvent plus le temps ni la possibilité de former de nouveaux entrants novices. C’est donc un deal gagnant-gagnant.
Comment parvenir à combler ce fossé incompréhensible entre les millions de chômeurs, et les centaines de milliers d’offres non pourvues comptabilisées dans notre pays ?
C’est un vaste débat mais il est évident que beaucoup refusent aujourd’hui d’exécuter un travail que leurs parents auraient accepté « en attendant mieux ».
Le premier trimestre 2022 a enregistré 520 000 démissions. Et la courbe semble aussi importante pour les deuxièmes et troisièmes trimestres à venir.
Du jamais vu dans l’Histoire de notre économie ! C’est toujours la question de l’exigence du bien-être qui prédomine.
Il faut dire qu’il y a tellement d’opportunités sur le marché pour rebondir ailleurs, qu’aujourd’hui bon nombre n’hésitent plus à franchir le pas d’une situation qui ne les satisfait pas pleinement, pour se rapprocher d’un cadre plus idéal. Comme le télétravail à la campagne.
Les chiffres sont formels : sur ces centaines de milliers de démissionnaires, moins de 10% restent demandeurs d’emploi plus de trois mois. C’est donc bien le marché qui s’est adapté à eux, et non l’inverse…
Un jeune sur deux est prêt à démissionner d’un emploi sans télétravail
Selon une autre étude parue mi-juillet, la moitié des salariés entre 18 et 24 ans se disent prêts à quitter leur emploi si on ne leur offre pas la possibilité de télétravailler. Un jeune sur cinq a déjà sauté le pas.
Le télétravail semble être rentré définitivement dans les mœurs depuis la pandémie. C’est ce qui ressort du rapport People at Work 2022 d’ADP, paru en juillet dernier.
À tel point que pour les jeunes générations, le 100% présentiel paraît désormais être une aberration : la moitié des jeunes se disent prêts à démissionner ou à refuser un emploi sans télétravail et 20% avouent même avoir quitté leur poste pour cette raison !
Un phénomène qui n’est pas seulement générationnel puisque 36% des salarié se disent eux aussi prêts à démissionner s’ils ne bénéficient d’aucun jour de télétravail.
La souplesse plébiscitée
Pour autant, les 18/24 ans sont loin de réclamer du télétravail à 100% et le mot d’ordre serait plutôt la souplesse. En effet, la flexibilité des horaires apparait comme l’autre critère important puisqu’un quart d’entre eux disent rechercher cette option en priorité. Pourtant, à peine une entreprise sur cinq (19%) en France a adopté une politique de travail flexible rapporte Les Echos.
Résultat, les travailleurs n’hésitent plus à démissionner et près de 500 000 personnes ont quitté leur CDI au premier trimestre 2022 selon la Dares.
Les hommes plus désireux de télétravailler que les femmes
Autre marqueur plus inattendu que la fracture générationnelle : 43% des hommes interrogés se disent prêts à démissionner en cas de présentiel obligatoire contre 29% des femmes seulement. Les différences sont également notables selon les secteurs puisqu’ils sont 62% des travailleurs dans le secteur des médias et de l’information ou encore 56% dans l’immobilier à exiger du télétravail.