Rubrique. Grands mots, grands remèdes…Trop chouette !

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Gérard Bouvier

Voici un jeu qui vous régalera si vous avez fait le tour du mikado et des petits
chevaux (1). Prenez nos cinq voyelles. Cinq c’est beaucoup : ajoutez un « S »…
Touillez en faisant revenir à feu doux. Étalez promptement sur une surface que vous
aurez préparée à cet effet. Touillez encore obstinément jusqu’à obtenir le mot
« OISEAU » (2).
Aujourd’hui l’altercation est un mode de communication privilégié. Échanger des
noms d’oiseaux est une activité très prisée. Souvent gratuite à plus d’un titre.
Si vous êtes une femme vous connaissez les noms d’oiseaux qui vous
correspondent le mieux : bécasse, buse (triple buse si votre interlocuteur a de gros
moyens), poule mouillée ou même grue, dinde, autruche, oie blanche…
Pour un homme, il y a tout autant de choix : vautour, corbeau, pigeon, rapace, butor.
Attention, butor est vieillot (3). À réserver à un vieil oncle ou à un rustre dans la force de l’âge. Inutilisable dans les collèges où l’on trouve plutôt des perdreaux de l’année
et des têtes de linotte (4).
De quel droit sommes-nous si sévères avec ces innocents volatiles pour ainsi les
comparer aux abrutis qui nous entourent ?
D’après les dictionnaires historiques se donner des noms d’oiseaux ne date que du
XIXème siècle. On imagine la difficulté de nos ancêtres quand ils souhaitaient se
mépriser les uns les autres. C’est cette carence en noms d’oiseaux qui a conduit
certains, à leur corps défendant, à puiser dans les parties vulgaires de leur anatomie
pour survivre à la pénurie (5). Ainsi sont nés couillon, connard, trou du cul et d’autres
qualificatifs abjects avant que les noms d’oiseaux prennent enfin leur envol.
Décidément ceux qui prétendent à longueur de temps que c’était mieux avant ont un
fameux toupet.

Notes pour éclairer ce texte.

(1)- En novembre 1987, François Mitterrand critique une fois encore Jacques Chirac.
Celui-ci lui répond distinctement et avec distinction : « ça m’en touche une sans faire
bouger l’autre ». C’est le principe même du mikado pourtant bien antérieur à la
chiraquie puisqu’il date du Vème siècle avant J.C. alors que Jacques Chirac est né
en novembre 1932 dans le 5-ème arrondissement de Paris pour ceux qui
connaissent. Et donc bien loin à vol d’oiseau de l’Inde et du bouddhisme où -selon
les historiens- est né le mikado.
Le jeu des petits chevaux s’est longtemps appelé jeu de dada mais ce nom s’est
heurté de plein fouet à une connotation sexuelle qui faisait doublon et qui le rendait
mal pratique chez les enfants. Aussi on opta plus sobrement pour le jeu des « petits
chevaux ». Mais les règles sont les mêmes.

(2)- Le mot « oiseau » a la particularité unique de se déployer avec toutes nos
voyelles d’un coup d’un seul (2 bis). Toutes si l’on excepte le i grec (ou le y pour les
puristes) qui dans notre panier de voyelles donne quand même l’impression d’un
intrus. Je sais que vous pensez comme moi.
D’ailleurs Y est une voyelle bien surfaite. Car elle peut être une semi-consonne si
son environnement s’y prête. En début de mot : ypérite, ou entre deux consonnes :
cycliste le Y est une voyelle. Mais en début de mot et devant une voyelle le Y est une
semi-consonne : yoga. C’est à en perdre son latin…ou sa zénitude !
Si je vous ennuie n’hésitez pas à me dire.

(2bis)- « Ouïe » n’est pas mal non plus, j’entends bien, mais il manque quand même
le A.

(3)- Le butor date de la fin du XIIème siècle. Formé sur butio et taurus en latin c’est-
à-dire buse et taureau. Le mot est désuet. Après avoir hésité cinq siècles on en a tiré
un féminin, butorde en 1694. Mais le mot encore plus archaïque s’est mal vendu et
s’est très vite perdu. On ne le retrouve plus guère qu’égaré dans des rubriques
comtoises.

(4)- Au XIIIème siècle on constate qu’un petit oiseau de nos prairies est friand des
graines de lin. Plus tard, on dira de lui que c’est un passereau granivore. Il n’en
faudra pas plus pour l’appeler Linotte. Chez la linotte mélodieuse -de son vrai nom linaria cannabina, si vous voulez épater votre voisine- le mâle, habituellement brun, a
soudain le front et la poitrine rouge en période nuptiale. Heureusement, nous autres
comtois avons échappé à cet artifice qui rend les amoureux très repérables ce qui les
expose aux quolibets les plus divers souvent promus par la jalousie.

(5)- Comment se voler dans les plumes, comment se déchirer en assassines prises
de bec si l’on ne dispose pas d’un lexique riche en noms d’oiseaux ? C’est la
gageure qu’ont dû résoudre nos ancêtres. Je vous parle d’un temps où l’on ne savait
pas même si c’est la poule qui a fait l’œuf ou si c’est l’œuf qui avait fait la poule.
Depuis la question ne se pose plus : on trouve l’œuf à la douzaine dans des cartons
moulés dans tous les commerces qui vendent des œufs dans des cartons moulés.