
C’est un vote qui fera date. Par 37 voix pour et 39 contre, les élus de la communauté de communes Arbois, Poligny, Salins – Cœur du Jura ont rejeté le projet d’installation de l’entreprise EO2 sur la zone d’activités des Mélincols à Salins-les-Bains. Un revers inattendu pour la municipalité salinoise et l’intercommunalité et un soulagement manifeste pour les opposants, mobilisés depuis trois ans.
Des accusations de manque de transparence
Dominique Bonnet, président de la communauté de communes, a dit son amertume face à la tournure prise par les débats. Vivement pris à partie par le maire de Pretin, Claude Romanet, qui l’accusait notamment d’avoir signé en catimini une promesse de vente le 24 décembre 2024, l’élu s’est défendu avec force : « Je ne suis pas allé chez le notaire signer quoi que ce soit. Vous m’avez donné une autorisation de prolonger d’un an la promesse de vente, donc j’ai signé la lettre demandant la prolongation, c’est tout. […] Je suis un honnête homme, je ne trahis pas. Je n’ai pas pour vocation de dire des mensonges ».
Une vice-présidente qui se désengage
Le rôle de la commission économique et le positionnement discret de sa vice-présidente, Valérie Depierre, maire d’Arbois, ont suscité des interrogations. En séance, elle a tenu à préciser les raisons de son retrait progressif du dossier : « Ce n’est pas Dominique qui ne veut pas que je parle de ce dossier. […] Depuis l’avis mitigé de la commission économique en juillet 2024, j’ai évolué, j’ai rencontré les différents acteurs. Cela me semblait difficile de continuer à porter ce dossier dans ces conditions ». Avant de conclure sans ambiguïté : « Ce soir, je voterai contre ».
Une filière bois déjà sous tension
La position d’EO2, elle, semble avoir suscité la méfiance jusque dans les rangs des élus. Le chiffre de 120 000 tonnes de pellets annuels – objectif initial affiché – avait été évoqué à la baisse à 60 000 tonnes dans certains échanges récents. Mais selon Michel Cêtre, maire de Salins, contact a été repris avec la société : « J’ai eu le président directeur général, M. Poizat, au téléphone ce jour, il est toujours sur la même logique de 120 000 tonnes ».
L’argument n’a pas suffi à rassurer. Plusieurs entreprises concurrentes d’EO2 – Jurapellets, Alliance Pellets, Haut-Doubs Pellets, Vert Deshy – ont adressé une lettre commune pour dénoncer un projet risqué. Une pénurie de matière première, des prix trop élevés, un déséquilibre du marché : autant d’éléments pour justifier leur inquiétude. L’un d’eux dénonce « un discours prétentieux » de la part d’EO2, qui se présenterait à tort comme « le sauveur de la filière bois ».
Une « victoire collective » pour les opposants
Du côté des opposants, l’heure était à la satisfaction. À la sortie du conseil, Floriane Chauvin, présidente de l’association Pays de Salins Environnement, a salué « une victoire collective, avec les acteurs du territoire, les élus qui nous ont crus, aidés, soutenus ».
« C’est une vraie victoire pour le travail conduit sur trois années », a-t-elle poursuivi, évoquant « le plaisir de continuer de profiter de la vue sur le Poupet et le Saint-André, sans une usine polluante en fond de vallée ».
L’association prévoit de rester mobilisée. Une manifestation est d’ores et déjà annoncée pour le 4 octobre. « L’objet de cette manifestation sera discuté mercredi soir, mais notre engagement continue. Le projet EO2 n’était qu’un pan de notre action : nous serons là aussi pour d’autres sujets comme l’ENS du Poupet, la pollution de la Furieuse ou encore la situation de l’Ehpad. »
Une occasion manquée pour Salins ?
Ce rejet laisse un goût amer à la municipalité de Salins. Michel Cêtre n’a pas caché sa frustration : « Grosse déception. Ça fait 40 ans que Salins n’a plus de développement économique. Hier soir, on avait l’opportunité de relancer l’économie. Je suis très déçu. Aucune autre entreprise ne se positionne aujourd’hui ». Et de conclure, sans détour : « La vente a été refusée. Il n’y a pas de retour en arrière ».
Entre aspirations écologiques et relance industrielle, ce vote illustre une fracture, mais aussi la vitalité démocratique du territoire. Deux voix seulement ont tranché une décision qui marquera durablement le paysage politique et économique du Pays de Salins.