L’invité de la rédaction : Bernard Cabiron

L'auteur jurassien vient d'achever une plaquette d'une trentaine de pages intitulée "Le ravage de La Charme". Il revient sur un douloureux épisode d'août 1944...

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Bernard Cabiron.

Pourquoi et comment avez-vous entrepris l’écriture de ce format inédit ?

Il y a deux ou trois ans, Mme Samson m’a demandé d’écrire l’histoire de son malheureux village natal. Bien que le sujet soit épineux parce qu’il dénigre la résistance, j’ai dit oui par amitié. Toutefois, j’ai tenu à ne publier mon texte que cet été, pour le 80ème anniversaire de la tragédie, date qui, je crois, en rend la mémoire plus émouvante. Quant au format A5 de l’édition, je le trouve idéal pour produire ce genre de narration dense, brève, de prix modique, qui ressemble plus à une nouvelle qu’à un ouvrage d’érudition.

En réalité, que s’est-il passé ce fameux 12 août 1944 à La Charme qui, selon vous, « a vu voler en éclats et son passé et l’identité collective de ses habitants » ?

À la fois un sinistre abominable et un miracle. Le sinistre, c’est l’anéantissement pur et simple par le feu des dix fermes de la localité : incendie géant, signant la mise à mort de l’âme ancestrale commune des cultivateurs de l’endroit. Le village, frappé au ventre, ne se releva que partiellement de cette catastrophe. Le miracle, c’est que l’ennemi, fort égratigné par l’embuscade que lui avaient tendue les maquisards le matin même, n’ait coffré, déporté ou exécuté qui que ce soit. Aucune victime humaine à La Charme, à la différence de ce qui s’est passé à Saint-Didier ou rue des Écoles à Lons. Les Allemands qui ne tiraient pas comme des savates n’ayant pas fait siffler les balles sur les têtes, les habitants ont tous pu s’enfuir et se cacher.Tout ça est arrivé par chance ou grâce à Dieu, ou parce que le plus fort, tout en rendant la monnaie, n’a pas voulu agir comme un monstre ce jour-là.

Comment expliquer « ce cruel silence de trois générations » ?

Rédiger cette histoire, c’est lever le voile sur un silence de quatre-vingts ans. Pourquoi un tel silence ? Parce que la grande histoire, écrivant les choses à sa façon, fabrique sa vérité, qui n’est pas toujours la vraie. En ce sens, il n’était pas question qu’un maquis local disserte sur le désastre civil qu’il avait causé et dont il n’avait pas à être fier. Donc aux oubliettes, ledit désastre ! Après la guerre, la vie reprend son cours, on reconstruit tant bien que mal, on essaie d’aller de l’avant, au pays on ne dit rien, mais on n’oublie rien non plus. Et le temps passe ainsi, le temps qui n’est pas à la plainte et aux dédommagements. D’un village à l’autre, les gens se connaissent, mais tout se passe comme si l’intérêt général dictait à chacun la meilleure façon de tenir sa langue. Ceci dit, je crois que les familles des victimes de ce fatidique 12 août 44 ne demandent pas mieux aujourd’hui qu’un petit livre rende à ces humbles paysans de jadis l’honneur qui leur est dû.

Vous semblez faire preuve de beaucoup de tendresse à l’égard d’Andrée Samson qui considère que « le progrès tue l’homme ». La rejoignez-vous sur cet amer constat sociétal ?

Cette formule à l’emporte-pièce, cette boutade si vous préférez, Mme Samson l’a gravée sur le microsillon de ses souvenirs qui tourne en boucle. Je pense qu’elle la tient d’une personne qu’elle jugeait sage et qu’elle la sert à son auditoire chaque fois qu’elle sent de la prétention, de l’arrogance planer ici ou là. Une telle affirmation me fait sourire, mais je ne la partage pas, loin de là, tant je suis heureux d’appartenir à mon époque. Heureux d’activer ma voiture en quelques secondes ; heureux de ne pas vivre au siècle de Louis XV, chaque fois que je confie ma mâchoire à ma dentiste.

Qui plus est dans la période perturbante et perturbée que nous traversons, avez-vous un dernier message (optimiste) à faire passer à nos lecteurs ?

Pas facile d’émettre un message optimiste par les temps qui courent !
Notre époque n’a rien de paisible et de réconfortant à première vue. De plus, elle sait exceptionnellement mettre en valeur tout ce qui ne va pas. Toutefois, alors que cette année, la nature a retrouvé une santé équatoriale et que les oiseaux nous gênent par leurs chants, il est urgent de mettre en évidence tout ce qui va bien. Sait-on encore le faire ?