C’est le printemps. Les mots nouveaux bourgeonnent dans nos dicos. Parfois ils
nous soulent comme les jeunes pousses fermentées soulent les chevreuils.
Cette année le bouquet est riche. Parfois nous les connaissions mais nous n’osions
pas trop en abuser. Dès aujourd’hui c’est possible. Et même recommandé car un mot
nouveau c’est comme une nouvelle pipe, il faut le culotter pour se l’approprier.
Attention : soyez prudent ! Les nouveaux mots sont souvent livrés sans la notice
explicative… Ainsi, j’ai voulu tester en présentiel l’aquaponie qui est « une culture
hors sol de plantes terrestres reliée en circuit fermé à l’élevage d’espèces
aquatiques ». Que croyez-vous qu’il advint ? J’ai regretté mon crush ! (1). C’est rien
de le dire ! Je m’en suis foutu partout ! Mon bermuda est trempé et il a rétréci. Au
plus mauvais endroit. J’ai failli me noyer et j’ai encore dans la bouche un goût de
lentilles d’eau et de salamandres Et de multivers.
Heureusement un autre mot nouveau est venu à mon secours : ma femme qui tient à moi plus encore qu’aux plantes aquatiques m’a mis en PLS.
J’aurais mieux fait de bader plutôt que de me fier aux rassuristes et pour une fois
écouter la complosphère et ghoster aussi sec tous ceux qui ne respectent pas mon
éco-anxiété (2). Méfiez-vous des instagrameurs vingtenaires (3). Ils sont souvent des
cyberharceleurs. Épargnons-nous les gênances et allons plutôt chiller (4) avec notre
go (5).
Et espérons patiemment que ces mots nouveaux tombent dans l’oubli.
D’ici là, on trouve le petit Robert de la langue française dans toutes les bonnes
librairies pour 69,90 euros et c’est bientôt Noël.
Notes pour une meilleure compréhension du texte :
(1)- Le crush est un emballement amoureux ou un engouement brutal mais souvent
de courte durée. Ce mot intègre d’ailleurs son autodestruction puisqu’il est une
reprise anglo-saxonne de l’ancien français croissir qui signifie rompre, briser, casser
ce qui d’emblée élimine tout espoir sur le long terme. Chez les jeunes le crush
désigne souvent un premier amour. Mais pas que. Si bien que s’il s’applique au 247-
ème le crush n’est pas disqualifié pour autant.
Léa, Manon, Camille, Chloé ont le crush pour Lucas, Enzo, Nathan ou Mathis. C’est
un marqueur de 2023. Mais ça n’est pas une invention récente bidouillée à la va-vite
entre deux SMS et un Instagram.
Souvenons-nous : Marthe, Berthe, Marcelle et Andrée avaient le béguin pour
Gustave, Raoul, Fernand et Albert. Et Françoise, Monique, Nicole et Chantal en
pinçaient pour Bernard, Guy, Yves et Jean-Pierre…
L’amour sans une certaine folie ne vaut pas une sardine ! Proverbe espagnol.
(2)- L’écho-anxiété c’est l’ensemble des émotions négatives : peur, tristesse et colère
qui traduisent notre crainte en l’avenir. La joie de vivre c’est de l’écho-anxiété
déguisée pour faire la fête. Mais il faut être gonflé, moi je vous le dis.
(3)- Nous avions les octogénaires, les quinquagénaires… C’était pratique pour un
titre accrocheur : « Un quadragénaire mordu par un chien en plein centre de
Conliège » ; « Panne de courant à l’EHPAD : un septuagénaire reste bloqué à l’étage
du dessous pendant 20 minutes ».
Il est normal qu’aujourd’hui un effort de jeunisme consacre et récompense les
vingtenaires. Quand -dans quelques années- on aura assimilé ces 20-29 ans, il
faudra s’intéresser aux 10-19 ans qui n’ont pas démérités. Comment les appeler ?
Les dizenaires, les dixenaires, où les dictionnaires pour avoir la réponse ?
(4)- Ne vous fiez pas d’emblée à l’harmonie des sons : Aller chiller n’a rien à voir
avec ce qu’on entend. C’est « prendre du bon temps à ne rien faire ». On l’a
emprunté au verbe anglais to chill car nous autres français sommes bien incapables
de ne rien faire. En tout cas pendant les heures ouvrables.
Mais des espoirs sont permis depuis que Sandrine Rousseau, députée, a défendu
devant l’Assemblée nationale « le droit à la paresse » sous des applaudissements nourris. Nourris mais brefs car c’est fatiguant d’applaudir longtemps et les députés,
ce jour-là, avaient la flemme. C’est leur droit.
À noter que la paresse fait partie des sept péchés capitaux recensés dans la Bible.
En faire un droit est plaisant. Mais n’est-ce pas sous l’empire de la colère, de l’orgueil
et de l’envie ? Et dès lors ne devrait-on pas aussi s’adonner avec gourmandise et
sans avarice à la luxure ? Je vous le demande un peu… il sera répondu
personnellement à toute proposition.
(5)- Nous manquions de mots pour désigner une jeune fille, une jeune femme, une
petite amie. Bien sûr les drouillous et gaillus comtois ne sont guère démunis quand il
s’agit d’aller en blondes pour se causer ou même pour chenailler la gachotte.
Mais il y a des gens qui ne sont pas même comtois et ce sont eux qu’on cible ici.
Il nous a donc fallu aller chercher une go en Afrique de l’Ouest. Ce mot qui a migré
chez nous vient du bambara, langue parlée au Mali avant qu’ils ne nous parlent plus.
Il serait une déformation locale de la girl anglaise. D’autres disent qu’il est issu de
l’argot ivoirien -mais il entend tout- où go signifierait une gonzesse. On dit que go
devrait s’écrire gow mais ce serait faire un cadeau extravagant aux joueurs de
scrabble.