Les illusions perdues

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Peu importe d’où qu’il vienne, on attendait de ce premier tour des élections législatives la venue du sauveur, le grand libérateur, l’homme providentiel qui allait nous délivrer de tous nos maux et transformer nos lendemains en tableaux impressionnistes de Renoir, de Monet ou de Camille Pissarro.
On croyait au Grand soir : Boulevard Montmartre, Effet de nuit. On envisageait les premières guinguettes estivales, on s’y voyait déjà guincher, valser, et retrouver au moins pour un instant, les quelques plaisirs plus ou moins défendus dont nous avons été privés depuis si longtemps. L’ivresse des sensations, la débâcle des sentiments, la révélation de la déraison. Éloges de l’excès…
Hélas, il n’en fut rien.
Pour tout dire, puisque nos illusions sont perdues depuis belle lurette, on attendait surtout une expression massivement populaire. Une manifestation de la contestation sous-jacente grandissante, un électrochoc des opinions, une fédération des déceptions, des désespoirs, des amertumes, pouvant peut-être même s’étendre, et ce, pour la première fois de l’Histoire, à une possible « intersectionnalité des opprimés ».
Tout cela n’était qu’utopie. L’idéal de convergence s’efface rapidement lorsqu’il se heurte aux intérêts particuliers, aux préoccupations immédiates et aux susceptibilités capricieuses.
Dimanche soir, malgré toutes les belles promesses entendues de part et d’autre depuis le début de la campagne, il a bien fallu nous rendre à l’évidence : rien n’avait vraiment changé. Ce fut d’ailleurs tout l’inverse !
Mêmes discours, mêmes rhétoriques, mêmes travestissements de la réalité, mêmes manipulations et distorsions idéologiques, mêmes stratégies électoralistes et petits arrangements entre amis ou ennemis, en vue du second tour.
Le mariage de la carpe et du lapin fut célébré en grande pompe. Comme d’habitude.
La politique nécessite de tels talents contorsionnistes qu’elle m’étonnera toujours.
Il va donc falloir se rendre à l’évidence, et retourner se lamenter dans nos chaumières. Non, le sauveur ne viendra pas. Il va nous appartenir à nous-mêmes et à nous seuls de transcender notre condition.
Je sais, c’est difficile. Il faut se questionner, se documenter, travailler au décryptage. Laisser le prêt-à-penser de côté, aussi parfois son téléphone, Netflix ou la PlayStation…
Et puis, surtout il faut appréhender la réalité dans la face et l’assumer tous les matins.
Assimiler qu’il ne faut rien attendre voir tomber du ciel. Qu’il n’est aucun problème dont on ignore les vraies raisons, et qu’il ne faut s’en prendre qu’à soi-même si cela ne convient pas.
Comprendre que l’État-providence n’est finalement qu’un immense syndic de copropriété qui collecte, gère les affaires courantes (avec plus ou moins d’efficacité), exécute son mandat et éventuellement redistribue quand il le peut, et selon son bon vouloir.
En cela, l’illusion du choix politique est un mirage. Ce n’est pas le pilote qu’il faut changer, mais la matrice de ce système, dont il faut s’extraire.
Comme le glissait si habilement Coluche : « Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit… »