« Une vie de plus en plus étriquée et des douleurs permanentes » : depuis 4 ans environ, l’existence de Bernard (* prénom d’emprunt) a viré au cauchemar. Pour ce jurassien jusque-là doté d’une solide constitution, la descente aux enfers a commencé par des troubles digestifs. De multiples examens et une intervention chirurgicale n’ont rien réglé et il souffre aujourd’hui de nausées quasi-permanentes et d’une perte totale d’appétit.
S’y ajoutent des lombalgies très douloureuses l’empêchant de rester debout plus de quelques minutes : toute sa vie ou presque se déroule désormais entre son lit et son fauteuil… Et pour couronner le tout, il souffre d’une incontinence urinaire et un essoufflement extrême dû à des embolies pulmonaires.
Au final : « un état semi grabataire, et l’impossibilité de faire quoi que ce soit à la maison »…mais surtout la certitude »qu’aucune thérapie n’est possible ». « Si je n’avais pas toutes ces douleurs… » souffle Bernard…mais lorsque tous les traitements antalgiques montrent leurs limites, il ne reste plus qu’une chose à espérer : en finir…et le plus tôt possible.
Comment faire ? Impossible d’être accompagné par des médecins en France puisque son cas ne relève pas de la loi Claeys-Léonetti, qui limite son champ d’action aux malades en phase terminale, « avec pronostic vital engagé » précise-t-il. « Quand on voit le cirque qui a précédé le décès de Vincent Lambert… » ajoute-t-il par ailleurs, désabusé.
Alors le suicide ? « J’ai fait une tentative lorsque ma femme s’était absentée, en laissant un mot afin qu’elle ne soit pas accusée par les gendarmes. C’est déjà arrivé » lâche t-il en donnant les détails d’une incroyable enquête sur la veuve d’un suicidé.
« J’aurais souhaité finir mes jours dans le Jura »
Pour bénéficier d’un cadre plus adapté, c’est donc vers la Suisse que se tournent tous les espoirs de Bernard et sa femme, et plus précisément vers une des trois associations dédiées aux étrangers désirant bénéficier d’un suicide assisté (Ex international, Dignitas et Pégasos).
« Nous avons déposé un dossier médical en août, mais nous n’avons pas de nouvelles » à ce jour confie sa femme qui respecte et accompagne totalement le choix de son époux. « J’ai une épouse extraordinaire » confie ce dernier : « elle fait tout à la maison, la cuisine, les courses, le ménage, la lessive…et même me donner la douche ».
En évoquant également ses enfants, il affirme : « Il y a beaucoup d’amour dans notre famille, et mon seul regret sera de la quitter ». Bernard affirme aussi ne pas avoir été victime d’acharnement thérapeutique : « J’ai rédigé mes directives anticipées précisant qu’il ne fallait pas charger la mule », les médecins se sont donc abstenus d’insister, sachant qu’il n’y avait de toutes façons aucun remède aux multiples pathologies qui lui rendent la vie impossible.
« J’ai eu une existence bien remplie » ajoute celui qui a aidé nombre de personnes sur son chemin; « j’aurais souhaité finir mes jours dans le Jura, et que la société me laisse le droit de choisir de vivre ou pas ».
Si ce n’est pas le cas de la famille de Bernard, il évoque aussi ceux qui veulent à tout prix « garder » un malade, quelles que soient ses souffrances : égoïsme ultime… Face à son « envie permanente d’être libéré », les jours et les semaines passent, rythmées par le tic-tac macabre de l’horloge qui n’égrène plus que les souffrances et l’envie de ne plus souffrir.
Si son dossier finit par être validé par un médecin suisse, la route vers la délivrance sera pourtant encore longue. Il faudra encore deux examens approfondis avec le médecin, espacés d’au moins deux semaines, mais aussi s’acquitter de 8.500 € de frais (une somme moins importante que dans d’autres associations suisses), entre autres obligations impérieuses.
Puis après son décès, il y aura le constat de la gendarmerie helvète, l’autopsie, la crémation du corps en Suisse, et le rapatriement de l’urne dans le Jura. « On ne choisit pas de naître » rappelle Bernard, mais quand il s’agit de finir et que l’on est privé de force, que le parcours du combattant semble rude, long, voire inhumain… »
Un jour, Bernard appuiera enfin sur le bouton de la délivrance qui lui permettra de partir, entouré des siens. Un acte d’amour et de dignité ultime : « Je suis un grand garçon, je regarde la mort en face et je ne veux pas qu’on me la donne comme en Belgique. Je le ferai moi-même ».
En y réfléchissant, si nous étions à la place de Bernard : que ferions-nous ?
« Oui mais… » pour les médecins
Selon le Docteur Jean-François Louvrier, président du Conseil de l’Ordre des Médecins du Jura, « une sédation profonde est déjà mise en place régulièrement…/… après une décision collégiale et bien cadrée », dans les conditions prévues par la loi Claeys-Léonetti, à savoir des patients souffrant le martyre (souffrances réfractaires et insupportables), et dont le pronostic vital est engagé à très court terme.
Selon lui, le Conseil National de l’Ordre des Médecins vérifie simplement que le cadre légal est respecté, et n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé d’une refonte de la loi. Le porte-parole des médecins jurassiens relève juste que rien n’existe actuellement pour prendre en compte la situation de patients condamnés (exemple : maladie de Charcot), et qui souhaiteraient finir leur existence avant d’atteindre une extrême limite.
Dans le cas où une loi ouvrirait de nouvelles perspectives, « les médecins disposeront toujours de leur libre arbitre, à l’instar de l’IVG » pour pratiquer l’acte ultime précise t-il.
Le Président Louvrier ajoute : « La conscience du médecin est difficilement palpable. Avec vingt ou trente ans de recul, un médecin qui aurait accepté pourrait bien se dire ‘j’ai donné la mort’. D’où le souhait d’un dispositif d’accompagnement psychologique en cas de besoin ».
Enfin, il appelle à border convenablement le cadre d’application d’une loi éventuelle : si certains proches acceptent et comprennent la volonté d’un patient de partir, d’autres au contraire peuvent lui dire « Reste avec nous, que vais-je devenir sans toi ? ».
D’où le risque de traîner en justice des médecins pour les accuser d’assassinat…
L’aide à mourir, « dernier soin » pour l’ADMD
Faut-il oui ou non une nouvelle loi pour permettre aux personnes condamnées de finir leur existence dans la dignité ?
Selon Brigitte Prost-Blondeau, présidente de l’ADMD 39 (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) « Ce n’est pas parce qu’une loi existe que les patients se ruent dessus ». Prenant l’exemple de la Belgique et de ses 11 millions d’habitants, elle relève seulement « 2.700 euthanasies par an, soit…0,2% des décès ».
Si une loi passait aussi en France, elle estime qu’elle produirait cependant un immense soulagement face à la détresse des malades, dans la mesure où le champ des possibles inclurait cette possibilité de « délivrance ».
Et de citer l’exemple d’une belge atteinte d’un cancer avancé qui aurait essayé un nouveau traitement pour guérir, parce qu’elle avait eu la garantie de pouvoir partir en cas d’échec de celui-ci. Tout le contraire « d’une radiothérapie proposée en France à une femme de 87 ans qui a un cancer généralisé avec des métastases partout ».
Au final, Brigitte Prost-Blondeau milite pour que l’aide à mourir soit perçue comme « le dernier soin » apporté à un patient. Un ultime acte d’amour préférable aux suicides violents de seniors, dont « on ne parle jamais ».
Ce que dit la loi…
La question de la place de l’euthanasie ou du suicide assisté dans la législation des différents pays est source de débats, souvent passionnés de par l’implication personnelle qu’ils contiennent.
La plupart des pays les interdisent, avec des exceptions notables telles que la Belgique, le Canada, la Colombie, la Suisse, les Pays-Bas, le Luxembourg et certains états des États-unis. En 2015, l’euthanasie active n’était légale que dans cinq pays : la Colombie, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et depuis juin 2021 l’Espagne. Le suicide assisté est légalisé dans cinq États américains (Oregon, Washington, Montana, Vermont et Californie). Des pays comme l’Italie et la Suisse le tolèrent sous conditions, sans qu’une loi ne le légalise officiellement. Cependant, nombre de pays interdisant l’euthanasie active ont légalisé l’arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l’acharnement thérapeutique et institué des initiatives d’accompagnement des patients en fin de vie.
En France, l’euthanasie est encadrée principalement par deux lois : la loi de 2002 sur le droit des malades, et la Loi Clayes-Léonetti du 2 février 2016 relative aux droits des patients en fin de vie. L’idée générale est de favoriser les soins palliatifs, d’interdire l’« euthanasie active », et d’empêcher le médecin de pratiquer une « obstination déraisonnable » dans le soin des malades en fin de vie.
Un équilibre est recherché entre le fait d’éviter des souffrances jugées inutiles à un patient qu’on estime voué à la mort, et celui de le maintenir en vie.
Un véritable dilemme éthique.
Plusieurs nuances d’euthanasie
Selon les textes en vigueur :
L’euthanasie volontaire est le processus consistant à mettre fin aux jours d’une personne malade à sa demande ou avec son consentement explicite.
L’euthanasie involontaire est la mise à mort de personnes capables de formuler leur avis et qui ne veulent pas mourir ou qui n’ont pas été consultées.
L’euthanasie non volontaire est l’acte de mettre fin aux jours d’une personne qui n’est pas en état de formuler son consentement (nourrisson ou personne dans le coma).
L’euthanasie est dite active, « quand elle consistera dans un acte volontairement effectué pour donner la mort ; c’est une action directe qui sous-entend l’intention, telle l’administration d’une injection létale ».
L’euthanasie dite passive « consiste fondamentalement dans une omission. On s’abstient d’entreprendre un traitement ou on l’arrête. On peut également classer ici, le fait de débrancher les dispositifs de survie artificielle (en). La mort est alors considérée comme une conséquence indirecte de l’acte d’interruption du traitement ou d’arrêt des moyens de survie ».
S.H et C.K