Éditorial

Retour gagnant

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Le record des plus de 500 000 cas positifs enregistrés la veille lui importait peu.
Ce matin-là, il ressentit pour la première fois avec une telle intensité que quelque chose venait de basculer. Sa vie avait changé et il était sauvé du pire.
A vive allure, il remontait le grand boulevard aux lampadaires fantomatiques. Sur sa gauche défilaient les enseignes lumineuses de la zone commerciale voisine. Restaurants, magasins de bricolage, hôtels… Il sourit en se remémorant une dernière fois ce qu’il y avait vécu il y a plusieurs années, puis il accéléra encore pour laisser définitivement tout cela derrière lui. Ceci ne lui appartenait plus. Ne l’intéresserait plus jamais. Il le savait et comprenait enfin pourquoi.
Il lui avait fallu atteindre plus de 40 ans d’errances et de préjudiciables turpitudes existentielles pour en arriver là. C’était triste, certainement dommageable, mais sans doute préférable que de continuer à s’abimer toujours davantage via ces illusoires exaltations, passagères, inconstantes, inconsistantes, et insécurisantes.
Là se trouvait précisément la cause de ses crises d’angoisse, ses attaques de panique, ces légitimes réémergences de conscience, de désillusion et de culpabilité qui l’assaillaient presque chaque soir vers 19h30, au moment de prendre place à la table de son foyer fiscal à deux parts et demi.
Il s’engagea sur l’autoroute. Il respirait déjà mieux. L’asphalte était lisse et régulier.
Il repensa qu’en son temps, elle aussi avait emprunté, comme lui à titre expérimental, certains chemins de traverse troublants. Elle aussi avait flirté maintes fois, plus ou moins dangereusement, avec la spirale sensorielle, sensuelle, transgressive et inavouable. Elle aussi s’était nourrie de tous ces bouleversements neurochimiques, de ces influx de dopamine, de cette obsession fascinante du désir. Cela le rendait naturellement jaloux de l’envisager, mais ce douloureux picotement qu’il ressentait dans la poitrine était indispensable. C’était l’antidote à sa rechute.
Heureusement, un peu avant de le rencontrer, elle avait assimilé que ce processus passionnel si grisant et addictif soit-il, n’était en définitive qu’impulsé par un imaginaire romancé sinon fantasmé. Qu’il ne pouvait s’instaurer durablement dans le réel. Et qu’au bout du compte, sur le long terme, il s’avérait toujours nuisible. Or, ce matin, grâce à elle, tout cela, il l’intégrait à son tour.
Les premières lueurs du jour apparurent. La température redevenait positive. A l’image de l’itinéraire de sa destinée qui s’extirpait de sa torpeur.
Il pleura de joie en arrivant chez lui. Il avait réussi. Son retour était gagnant. Ses larmes confirmaient que sa métamorphose s’accomplissait. L’ouragan était passé. Il n’y avait plus qu’à reconstruire sainement et les éléments retrouveraient naturellement leur place. Ce n’était que le lot des choses humaines.
Alors, il réalisa qu’il ne voulait plus seulement prendre. Mais qu’il pouvait enfin aussi donner. Même tout donner. Surtout pour elle. Et il le lui devait bien.
Comme une de ses chansons préférées l’évoquait, l’évidence s’imposait à lui.
C’était la seule façon d’aimer.