Covid et confinement : le désamour dure trois ans

Il y a exactement trois ans, nous basculions dans une situation inédite. Témoignages et décryptage de tous les préjudices qu'elle continue d'engendrer, avec de considérables conséquences à long terme.

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Bas les masques !

Isolement et conséquences…

Sécurité, éducation, médecine, collectifs citoyens. Florilège d’interlocuteurs éclairés.

 

Emmanuel Sidot

Du côté des forces de l’ordre :
Emmanuel Sidot, Secrétaire Départemental Alliance Police Nationale Jura

Il y a trois ans, une assignation à résidence était soudainement imposée, pour deux mois, 23 heures sur 24 à l’ensemble de la population du territoire. Au sein des forces de l’ordre, comment avez-vous vécu cet épisode inédit et toutes les conséquences qu’il a engendré pour vous ?
La France a vécu une période épidémique inédite depuis plusieurs décennies. Le gouvernement en fonction pendant cette période a jugé bon de mettre en place un confinement avec des restrictions drastiques dont l’autorisation de sortie d’une heure dans un périmètre d’un kilomètre.
Rapidement, l’épidémie a pris du terrain et les mesures que vous avez évoquées ont été mises en place. Il a fallu nous adapter, intervenir avec des masques, désinfecter nos véhicules après le transport de personnes extérieures et à chaque fin de service, manger à deux maximum en salle de pause. Je ne pense pas que l’épidémie a eu des conséquences sur le fonctionnement général de la Police hormis la mise en place de formation distancielle.

Avec le recul, et même si la majorité de la population comprend parfaitement qu’il vous faut nécessairement exécuter les ordres de vos supérieurs hiérarchiques, ne trouvez-vous pas grotesque sinon complétement inutile tout l’arsenal alors dicté par l’exécutif ?
Comme je l’ai évoqué précédemment, nous étions dans une situation inédite depuis des décennies. Je pense que dans les secteurs police de Lons et de Dole, beaucoup de mes collègues ont su faire preuve de discernement (n’en déplaise aux gens verbalisés).
Ce sont des villes à taille humaine. Les policiers sont connus et reconnus par la population et la réciproque est également vraie. Moi-même je me trouvais en service de nuit à Dole, nous avions dans les premiers temps un discours pédagogique avec les récalcitrants au confinement. Suivant le comportement de la ou les personnes contrôlées la pédagogie pouvait tourner à la sanction tout comme la réitération de l’infraction. Nous sommes seul juge sur place, nous avons ce pouvoir de verbaliser ou de faire cesser l’infraction. Avec mes collègues nous étions sur la deuxième formule, mais si la pédagogie n’aboutissait pas, la sanction tombait.

Depuis trois ans, on note une flagrante montée de la violence, des débordements, des comportements excessifs, des réactions ou surréactions extrêmes voire border-Line…
D’après les spécialistes de la question, les confinements, couvre-feu, et autres restrictions auraient été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres d’une société déjà très affectée. Vous qui êtes aux premières loges de cet état de fait, qu’en pensez-vous ?  Confirmez-vous que notre société est « malade » ?
C’est effectivement un constat que nous pouvons faire. Je pense que notre société était déjà bien malade avant et les différents confinements n’ont fait qu’accélérer cette « maladie ». Même si les grands espaces jurassiens jouent un rôle de thérapie, nous pouvons malheureusement constater une recrudescence de Violences Intra Familiales, les gens ont moins de patience, et nous pouvons noter l’accroissement d’une certaine violence verbale voire physique … A contrario, si on regarde les dernières manifestations contre la réforme des retraites, nous n’avons subi aucun débordement. Donc oui la société est malade, mais ce n’est pas épidémique…
J’espère qu’avec le temps, on saura guérir les personnes en souffrances.
Je finirai avec une citation écrite sur un mur de la ville de Metz :
« Passant, prends le temps, sinon il te prend ».

Michel Brignot.

Du coté de la pneumologie :
Michel Brignot, pneumologue et médecin du sport à la Polyclinique du Parc

Michel Brignot, il y a trois ans, le Covid-19 déferlait sur la France. Que sait-on aujourd’hui à propos de ce virus ?
Le virus Covid est un virus qui a contaminé la population humaine mondiale à partir d’une source chinoise peu clairement établie. Depuis son arrivée, au printemps 2020, il a fait l’objet de nombreuses mutations plus ou moins agressives. C’est là aussi un phénomène bien connu avec les virus comme celui de la grippe par exemple. On sait juste en traiter les conséquences ou les complications. Pour ce qui est de l’infection virale en elle-même, nous ne disposons en fait que de traitements préventifs : classiques gestes barrières, mesures d’hygiène individuelle, renforcement de l’immunité spécifique par le vaccin. En réalité, la mesure la plus efficace repose sur l’acquisition d’une immunité naturelle par chacun de nous, dans la mesure où notre organisme le permet. De toute façon, il restera toujours des « vestiges » de ce virus en libre circulation et probablement peu agressifs.

Vous avez vous-même été infecté lors de l’exercice de votre profession de pneumologue durant les premières semaines de confinement. Comment l’avez-vous vécu ?
En fait, je suis très rapidement tombé malade lors de la première vague au printemps 2020, comme bon nombre de soignants trop peu protégés et exposés à une charge virale importante… J’en retiens une fatigue extrême qui m’a handicapé pendant de nombreux mois tout en continuant de travailler. Seule l’activité physique a minima parvenait à me sortir de cet état de torpeur. Et l’écriture aussi. Je l’ai à peu près bien vécu psychologiquement. J’étais toutefois très agacé par tous ceux qui ne respectaient pas les consignes sanitaires, étant moi-même déjà impacté par le virus. La France était alors coupée en deux. Ceux qui croyaient en l’infection et la pandémie (il y a tout de même eu de très nombreux morts) et les complotistes qui pensaient que nos dirigeants nous manipulaient. Sans parler du débat autour de l’Hydrochlorothiazide du Professeur Didier Raoult.

Selon vous, la situation sanitaire méritait-elle cette assignation à résidence imposée pendant deux mois 23 heures sur 24 à l’ensemble de la population ? Et toutes les autres restrictions qui ont suivi ?
C’est une question difficile à laquelle j’ai du mal à répondre. Avec le recul, on a effectivement le sentiment que les politiques en ont trop fait. Mais si cela n’avait pas été le cas, on aurait pu leur faire le reproche d’avoir été trop laxistes.
Souvenons-nous que nous vivons en Gaule et que le Gaulois est un individu capricieux, fantasque et imprévisible. Et que force est de constater qu’à ce niveau-là, rien n’a vraiment changé. Je pense que les mesures auraient tout de même pu être un peu plus souples.

Globalement, quel bilan tirez-vous des trois années très difficiles que nous venons de vivre ? Que peut-on envisager pour la suite ?
Ces années ont été un véritable défi humain pour nous tous. Certains en sont sortis grandis en ayant pris du recul par rapport à eux-mêmes et la vie en général. D’autres, malheureusement, sont devenus encore plus exigeants, comme s’ils devaient rattraper cette pause de presque trois années que la société leur a imposée. Bref, sur le plan humain, nous avons sans doute élargi le fossé entre « les bons et les méchants ». Sur le plan médical, la science a certes fait des progrès. De nouvelles techniques sont apparues. Nous avons surtout maintenant à nous occuper des complications à long terme de la Covid ou des « Covids longs ». Mais j’ai bien peur que lors des prochaines pandémies, car il y en aura d’autres, tout soit à refaire tellement la nature est la plus forte. Il faudra encore de nouveau s’adapter. Le plus important pour moi, c’est de se souvenir de ce que nous avons vécu pour ne pas refaire les mêmes erreurs, au moins dans les relations entre nous.

 

Laure Monamy.

 

Du côté des enseignants :
Laure Monamy, professeure des écoles – SE UNSA 39

L’enseignement à distance, le port du masque en permanence en salle de classe qui s’est étendu pendant des mois, un contexte anxiogène très pesant… Vous qui êtes au contact de cette réalité quotidienne, quel regard portez-vous aujourd’hui sur tout ce que vous avons vécu ?
Le plus difficile a été la brutalité de la coupure avec les élèves que l’on voit au minimum 6 heures par jour.
Ensuite, la bascule vers l’inconnu : comment faire classe sans élèves ? Comment interagir ?  Pourquoi n’a t-on pas pris le temps de la préparation pour des outils à distance ? Comment aider les élèves et leurs parents à gérer cette situation stressante  ? Comment travailler des apprentissages alors que les élèves ne sont pas tous dans les mêmes conditions ? Comment faire avec les élèves dont on n’a plus de nouvelles ?
On a été dans le flou pendant quelques semaines puis le rythme a été pris, mais avec beaucoup de frustrations des deux côtés et une explosion des amplitudes horaires et du temps de travail pour les enseignants.
Le retour en classe a été un soulagement mais ce n’était pas comme avant : distances, matériel individuel, lavages des mains. Et tous les élèves ne sont pas revenus en même temps. Ce qu’il reste maintenant, c’est qu’il a fallu faire avec, comme tout le monde, inventer, créer. L’institution ne nous a pas ménagés et peu accompagnés !
Au niveau des élèves, l’isolement qu’ils ont subi se sent encore. Le vivre ensemble au sein d’un groupe peut être problématique surtout avec les petits qui étaient en maternelle pendant le confinement. Pour les ados, c’est davantage de repli sur soi.
On a vu, au retour en classe, des élèves qui ne savaient plus trop s’ils pouvaient approcher les autres, jouer avec eux, qui avaient peur quand on les touchait, peur pour les personnes fragiles autour d’eux.

Constatez-vous, à l’instar des médecins, qu’une part croissante de notre jeunesse ne va pas bien et ne croit plus en l’avenir ?
Je travaille avec des élèves jusqu’à 12 ans. Mais oui, une part croissante des enfants ne va pas bien. Toutefois les raisons sont multifactorielles, pas seulement liées au covid.  Le plus navrant, c’est qu’il n’y a pas de prise en charge suffisante par manque de moyens, mais pas par manque de volonté des professionnels.
C’était une demande de la profession, et pas que, qu’à l’issue du confinement, il y ait une vraie politique d’accompagnement de la jeunesse. Rien n’a été fait, les personnels dans le domaine de la santé et dans les RASED  ne sont pas assez nombreux dans et en dehors de l’Education Nationale pour accompagner tous les besoins. C’est une vraie déception et un vrai problème de société à plus long terme.

Selon vous, comment redonner les moyens à l’éducation nationale de prendre en charge convenablement l’ensemble des élèves ?
Chaque enseignant a à cœur de prendre en charge les élèves qui lui sont confiés mais les difficultés se présentent si il travaille dans une classe avec trop d’élèves ( le 24 élèves par classe ne doit pas se limiter au GS/CP/CE1, les multi-niveaux doivent être pris en compte). Il faudrait donc recruter.
Le réseau d’aide, le médecin scolaire ou l’infirmière scolaire sont inexistants ou débordés. Il faudrait donc augmenter leur nombre, 1 ou 2 pour le Jura ne suffit pas.
Il y a un ou plusieurs élèves à besoins particuliers. Il faudrait une vraie politique de l’école inclusive.
Alors que le budget de l’Éducation Nationale soit vraiment prioritaire, qu’il soit augmenté en fonction de l’augmentation du PIB (l’écart se creuse depuis 20 ans au moins), que la priorité budgétaire soit sur les premières années et sur la scolarisation obligatoire de l’école publique (l’État dépense au moins 10 fois plus pour un élève en études supérieures qu’un élève en REP, il finance l’enseignement privé à hauteur de 73 % ), et que la mixité sociale soit effective afin de lutter contre toutes sortes de communautarisme…

Quel bilan tirez-vous des trois années particulièrement difficiles que nous venons de vivre ? Et que peut-on espérer pour la suite ?
Mon bilan en tant que professionnelle n’est pas très joyeux : il y a trop d’occasions manquées de donner les moyens à l’Éducation Nationale pour aider et accompagner les élèves. Il est plus que temps de réagir !
Mais je veux rester optimiste et je conserve le plaisir intact de mes débuts : retrouver les élèves, les aider à comprendre le monde qui les entoure et les voir grandir. C’est une vraie richesse.

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Pourquoi a-t-on depuis quelques années de plus en plus de mal à recruter des enseignants ? Les conditions de travail de votre métier se seraient-elles dégradées à ce point ?
Je suis en milieu de carrière (enfin si la réforme des retraites n’est pas mise en place…), je commence donc à pouvoir avoir du recul.
Cette crise est aussi multifactorielle :
D’abord commencer sa carrière avec un master en étant payé à peine plus que le smic ! Il suffit de regarder dans le privé, les salaires de base pour comprendre que ça n’attire pas. On n’était guère payés plus mais quand même, et le coût de la vie était moins élevé.
Ensuite, nous n’avons pas été augmenté pendant plus de 10 ans. On nous promet des revalorisations qui n’arrivent pas ( le 10% est un joli mirage). Ça n’attire pas non plus. Mais c’est pas grave, pour l’affichage national, vous pouvez gagner plus si vous travaillez plus…
Également, on peut devenir enseignant par tellement de voies que les étudiants s’y perdent et ne savent plus laquelle choisir.
Et puis, on a vu dans les médias des jobs-dating pour devenir contractuel, laissant ainsi penser qu’enseigner c’est facile!  On commence à être à l’aise dans un niveau au bout de 3 ans, alors en début de carrière ! La désillusion est grande…
D’autres raisons sont également à prendre en compte.
On se retrouve avec des élèves avec des troubles du comportement qu’il faut gérer 6h en même temps que les autres élèves, sans échappatoire souvent. Comment enseigner ? La réponse de l’administration est limitée et peut être lente. La formation, la prise de recul ? Inexistantes.
Le travail invisible est souvent méconnu et minimisé. Le fameux « toujours en vacances »; il suffit de demander à un conjoint ou à une conjointe d’enseignant ce qu’ils en pensent, c’est édifiant !
Le travail d’un enseignant ne commence pas à 8h20 pour se terminer à 16h30, 4 jours par semaine. On est plusieurs à avoir évalué notre temps de travail, et en le ramenant à un rythme de salarié du privé pour les vacances, on arrive à 42h par semaine (même avec des années d’expérience). Difficile à croire tant le temps hors préparation de classe explose, les semaines (et week-ends) peuvent aller jusqu’à 70h pour un directeur d’école.
Et puis, il nous faut faire face à d’autres contraintes comme l’impossibilité de choisir son temps de travail ( temps partiels et disponibilités refusés),  l’incertitude de pouvoir démissionner ou de changer de métier dans la fonction publique, l’impossibilité de pouvoir aménager sa fin de carrière et de partir à la retraite à la date anniversaire dans le 1er degré.
Il faut attendre plusieurs années avant de pouvoir avoir une classe qu’on a choisi et y rester, donc déménagements ou trajets en voiture au quotidien. J’ai commencé ma carrière dans le Jura et j’ai pu évoluer de postes en postes en les choisissant. Maintenant, il y a tellement moins de classes que les changements de postes sont rares et difficiles. Et je ne vous parle pas de changer de département !
Nous subissons par ailleurs des injonctions qui vont dans tous les sens, c’est un véritable manque de respect des politiques qui annoncent de profonds changements sans en informer les personnels.


 

L’avis du collectif citoyen AGIR 39 :

Comment le confinement, c’est-à-dire l’assignation à résidence de toute une population, ainsi que toutes les décisions prises dans le contexte d’une crise sanitaire pourraient-ils être acceptables ? Quelle que soit la motivation de l’autorité qui l’impose, cette mesure est un acte arbitraire, une ingérence indigne dans la vie privée de chacun, un diktat. C’est aussi une humiliation pour tous ceux qui l’acceptent.
Pour le collectif AGIR 39, aucune situation ne peut imposer ce genre de traitement. Le rappel avec les heures noires de l’occupation est trop évident. Une telle mesure ne peut provenir que d’autorités hostiles au peuple français, des autorités qui à aucun moment n’ont voulu son bien, mais au contraire le plonger et le maintenir dans la peur. Peur d’une maladie érigée en pandémie au niveau mondial et présentée comme mortelle. Peur d’une répression féroce exécutée par des forces de l’ordre efficaces et zélées.

« S’élever contre la privation progressive des libertés fondamentales ».

Les trois années que nous venons de vivre doivent amener chacun à réfléchir sur ses actes, sa responsabilité personnelle dans l’acceptation de l’indignité. Ce qu’on pourrait appeler, en d’autres termes, sa collaboration. Les décisions prises par le gouvernement se sont enchainées avec rapidité et violence en usant de la sidération et de l’angoisse. En faisant également appel à ce que l’individu à de pire en lui : la soumission, la délation, la haine et le rejet. Nous rappelons que les voix pour s’élever contre la privation progressive des libertés fondamentales (déplacement, expression, disponibilité de son corps, droits du travail) ont été rares et inaudibles, noyées dans un matraquage médiatique confinant à la propagande d’état. La réaction du peuple français, sa docilité amènent à s’interroger sur sa capacité à réagir face à l’inacceptable.
En suivant au jour le jour les soignants suspendus, nous avons pu mesurer le degré d’affaiblissement du sens civique, l’effondrement de la pensée et de la capacité au vivre ensemble. C’est cette absence de lucidité et de courage qui doit nous questionner aujourd’hui, chacun est renvoyé à lui-même, à ses faiblesses, à ses démons. Une telle expérience imposée à 66 millions de personnes n’a été possible que grâce à une abdication générale et elle est lourde de conséquences…