Rubrique. L’édito : assis par terre

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« Un jour je me suis assis par terre, je me suis dit c’est terminé, et tout a été mieux ».
Avec ses allures de Diogène, Pascal est un quinquagénaire SDF, de prime abord banal, mais en réalité, c’est tout le contraire.
Venant de Dunkerque, issu d’une famille plutôt bourgeoise, celui-ci est « monté à Paris » à vingt ans, au début des années 1990, pour y travailler comme barman dans un établissement huppé, voisin des Champs-Élysées…
« Je voulais m’occuper des animaux mais pour cela il faut des diplômes, or, l’école m’ennuyait terriblement. Alors, je l’ai quittée dès que j’ai pu à 15 ans, pour un CAP d’hôtellerie » explique-t-il. Il passera ainsi près de 25 ans à servir tout en s’amusant.
« C’était la fête tous les soirs, on avait de bons pourboires, j’ai vécu une époque bénie ».
Sauf qu’un jour, l’immeuble dans lequel il réside est racheté pour être revendu « à la découpe » par un promoteur. Et de se remémorer douloureusement :
« On m’a dit, soit vous rachetez votre studio, soit vous avez trois mois pour partir ».
Pascal dût donc quitter son appartement, pensant que tout cela rentrerait rapidement dans l’ordre, car il travaille et dispose d’un salaire suffisant pour garantir le paiement d’un loyer. Mais non. Jamais il ne retrouvera de studio.
Courageux, il se débrouille, se fait parfois accepter une nuit ou deux dans un hébergement d’urgence, mais se voit contraint de dormir peu à peu dehors, tout en conservant son activité.
Et puis un jour, après une dizaine d’années d’usantes batailles avec les services sociaux qui ne peuvent (ou ne veulent ?) agir, écœuré de se voir répondre que les foyers d’accueil sont complets et que de toute façon, il passe après les autres, puisqu’il n’est ni alcoolique, ni drogué, ni délinquant, ni souffrant de problèmes mentaux sévères, épuisé de l’hypocrisie d’un système menteur et déficient, des gens qu’il ne supporte plus et à qui il lui faut néanmoins sourire tous les jours, il dépose les armes.
« Un matin de mai, je partais travailler puis subitement j’ai fait demi-tour. Je me suis assis par terre, et maintenant tout se passe mieux pour moi. Je lis beaucoup. Au début, je ne demandais rien, mais on a commencé à me donner des sous, des tickets restaurant, alors je prends ce que l’on me donne… J’ai de quoi vivre et ça me suffit ».
Plus de stress, plus de faux-semblants, plus de contraintes, avec l’argent que lui rapporte la mendicité (environ un smic selon les mois), Pascal a même réussi à retrouver une colocation !
De cette rencontre marquante avec cet homme extraordinaire, je retiendrai que Pascal attire à lui la bonté et la générosité. Comme d’ailleurs toutes les vraies âmes, libres, dignes, et éclairées par la perspective d’un authentique idéal : celui de pouvoir choisir partout et tout le temps, la direction de sa destinée…