Avez-vous remarqué comme nous vivons dans un contexte souvent hostile qui malgré nos nerfs solides et notre bonne éducation nous pousse à la faute ?
Frustration, surprise désagréable, douleur imprévue ou colère tellement justifiée et voilà qu’on n’y tient plus et que on laisse s’échapper un « merde ! » retentissant.
Notre charge émotionnelle s’en trouve exonérée d’autant et les linguistes appellent cela un explétif ou un mot exclamatoire cathartique. Mais reconnaissons-le avec modestie, c’est surtout une grossièreté.
Ce mot de cinq lettres qui jadis servait à marcher dedans du pied gauche pour porter bonheur a vu son usage s’étendre de tout son long. Il s’est banalisé au point qu’on ne dit plus : après le passage de la perturbation pluvieuse nous aurons un ciel de traine avec de fréquentes averses mêlées de rares éclaircies, mais on dit plutôt : un temps de merde, et ça continue !
Avons-nous d’autres choix ?
Assurément ! Vous connaissez depuis longtemps mon désir constant de rendre service. Je vais donc vous proposer des alternatives.
Zut ! En 1813 c’était encore z’ut ! Mais en 1837 il fut honoré par Balzac dans César Birotteau roman de la Comédie Humaine. Nous aurions donc tort de nous en priver.
Flûte ! ne mange pas de pain mais date dans cette acceptation de 1858 et commence à être rassis. Reste toutefois joli dans l’expression : j’y ai cru mais flûte ! c’était du pipeau… Parfaitement adapté à de nombreuses expériences politiques en cours.
Mince ! est beaucoup moins calorique que Purée ! et moins prurigineux que Punaise ! Quant à Pétard ! il doit être manier avec prudence…
Merde ! est aussi très utilisé pour souhaiter bonne chance, par exemple avant un examen ou une épreuve au destin incertain. Mais en pareil cas on peut aussi croiser les doigts. C’est inodore.
Notes pouvant être utiles pour la lisibilité de ce texte
(1)- Ce mot de cinq lettres est attribué au général Pierre Cambronne lors de la bataille de Waterloo. Il commandait la Vieille Garde quand un officier britannique lui demande de se rendre. Pour certains il aurait répondu : La Garde meurt mais ne se rend pas ! Et pour d’autres qui le voyaient déjà bien fatigué il aurait répondu plus sobrement : Merde !
Beaucoup pensent que c’est plutôt au capitaine Michel qu’il faut accorder la paternité de ce mot dont Cambronne, lui-même, a démenti être l’auteur.
C’est surtout Victor Hugo qui l’a fait entrer dans la légende quand dans Les Misérables il dit : « Cambronne fit plus que de répondre, il cria ce mot qui surpasse l’histoire ! ». N’empêche que Waterloo reste un souvenir un peu emmerdant…
(2)- Les mots exclamatoires cathartiques sont nombreux, preuve de leur utilité. Ils mélangent décharge émotionnelle, langage social et culturel et physiologie de la gestion du stress. Ce sont souvent des mots courts et gutturaux, dont une culture est propriétaire exclusive. Ainsi, on ne dit pas zut au Japon, ni merde au Botswana. Les mots cathartiques les plus utiles sont : Aïe ! Ouille ! Youpi ! Hourra ! Beurk ! Hein ! Parfois -si le sujet le mérite- le mot se répand jusqu’à faire une courte phrase. Les plus connues sont : Nom d’un chien ! B. de M. ! T’es con ou quoi ? Ciel, mon mari !
Hélas, Nom d’un p’tit bonhomme ! est désuet et dépassé. C’est bien dommage, sacrebleu !…
(3)- Un grossier, au début du XIVème, était un ouvrier travaillant sur de grosses pièces métalliques. Au temps de Ronsard une laine grossière était une laine sans finesse. Un siècle plus tard le sens s’étend : on parle d’une grossière erreur. Au XVIIème, le grossier désigne ce qui est choquant et sans pudeur d’où naitra, vers 1640, la grossièreté.
(4)- Le pipeau est une petite flûte bucolique et c’était aussi un appeau très utilisé pour attirer -à toutes faims utiles- les oiseaux dont la chair étaient tellement prisée au Moyen Âge. Merles, grives, ortolans, bécasses et bécassines, colverts et sarcelles en rôtis ou en pâtés faisaient le bonheur de nos ancêtres pour peu qu’ils soient vêtus dans la soie.
Le pipeau et l’appeau son cousin sont ainsi devenus dès le XIIIème siècle un instrument dont les piaillements leurraient les oiseaux et facilitaient leur capture. De là à berner son prochain il n’y avait qu’un souffle. Surtout -nom d’une pipe !- quand les dés sont pipés et que notre interlocuteur est du bois dont on fait les flûtes.
(5)- Que « Mince ! » soit grossier serait évidemment un comble.
(6)- Le tradition de dire « Merde ! » pour souhaiter le succès à une production théâtrale date du XIXème siècle. C’est parce que si le parvis du théâtre était jonché de crottins de cheval, c’était que les fiacres étaient nombreux à avoir bagagé ici les riches bourgeois. Un succès probable s’annonçait…
